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lundi 7 janvier 2019

Parlons d'innovation avec…

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Sébastien Morin d'Ubisoft (Montpellier)

Interview du 18 octobre 2018 réalisée par rOmain Thouy à Montpellier


12ème article d'une série d'interviews réalisés sur la gestion de l'innovation dans le domaine des industries créatives (jeux vidéo, films d'animation) de notre région (ndlr : l'Occitanie).

Sébastien MorinSébastien Morin, Game Director au sein du studio d'Ubisoft Montpellier. Contribue actuellement au jeu Space Junkies.
Formation : école d'ingénieur (ENSEIRB-MA.CA de Bordeaux). Nombreuses expériences en programmation, puis game design. Depuis 2002 chez Ubisoft.
  • son 1er jeu : labyrinthe en 3D sur TO7
  • son dernier gros succès : pas encore fait, je suis trop exigent. Je suis entouré d'éternels insatisfaits.
"Je suis tombé dans le jeu vidéo très tôt, et j'ai commencé par la programmation. Je faisais des jeux sur TO7 pour les copains quand j'étais au collège. Puis, j'ai eu la chance de faire un stage chez Ubisoft. Et après, je suis rentré dans le jeu vidéo (pas tout de suite à Ubi mais chez Kalisto) en tant que développeur. On avait la chance à cette époque que ce soit très bidouille, très artisanal, avec de petites équipes (3 à 10 personnes). Ensuite, j'ai eu d'autres expériences, dans d'autres boîtes, et je suis revenu chez Ubi en 2002. Nous étions encore sur des équipes à taille humaine (100 personnes), et petit à petit le métier s'est industrialisé. Le studio de Montpellier est un peu particulier, parce qu'il est en France, donc toujours très proche de ce qu'est Ubisoft, avec ses personnes fondatrices (comme Michel Ancel, Frederic Markus, etc.), qui étaient un peu foufous, débrouillards, artisans un peu géniaux qui rêvaient et qui étaient capables de se lancer dans des choses, de façon un peu naïve, genre le saut de la foi. De plus, le studio avait une certaine distance vis-à-vis de Paris, et donc, il y avait une grande marge de manoeuvre, avec un côté assez identitaire. Ici, aujourd'hui, il y a 330 personnes. Et les jeux se produisent sur plusieurs studios maintenant."

Bonjour Sébastien, tout d'abord, comment définis-tu l'innovation dans ton domaine ?

Bonjour rOmain.
L'innovation, c'est d'abord apprendre à se planter. Et réessayer et faire le plus rapidement possible. L'innovation, c'est donc avant tout de "faire" : c'est en faisant qu'on se plante, qu'on apprend à faire, qu'on apprend de ses erreurs.
L'innovation dans le jeu vidéo, c'est un truc d'équipe, c'est un processus à plusieurs. Quand tu te mets dans la bonne situation, le collectif va faire en sorte que tu sois toujours surpris par les autres. Tu es surpris par leurs idées et par leur utilisation de ce que toi tu es en train de faire.
L'innovation, c'est aussi un ensemble de combinaisons de ce qu'on est en train de faire. Le jeu vidéo temps réel, c'est de l'interaction, et souvent, la façon dont tu t'y prends pour fabriquer le jeu marque le produit que tu auras à la fin. C'est pourquoi, je crois beaucoup à l'interaction pendant la création du jeu. Donc, il faut avoir des idées ouvertes, qui donnent la possibilité aux autres d'être utilisées : nous fabriquons tous des blocs, comme des Lego, mais l'idée c'est aussi de pouvoir fabriquer nos propres blocs avec ceux des autres. Et forcément, ça permet de construire des choses qui dépassent ce que tu pourrais faire tout seul.
Un autre élément moteur d'innovation important, c'est la contrainte : c'est souvent de la contrainte que naît l'innovation. Un exemple fameux dans le studio, c'est Rayman, qui n'a pas de bras. C'est une conséquence du fait qu'à l'époque c'était trop dur d'animer un personnage avec des bras.
Dans Space Junkies, nous avons créé un jeu où il y a énormément d'expressions possibles avec les mains alors qu'il n'y a presque aucune animation. C'est parce que nous n'avions pas d'animateur : nous n'en trouvions pas. Donc, nous avons fait sans animation, et cela nous a fait découvrir des méthodes procédurales pour faire la même chose que nous avons utilisées partout. L'absence d'animateur nous a amené à trouver une autre manière de faire.
Le dernier facteur d'innovation, c'est le rêve ! C'est l'espèce de feu qui t'animes quand tu veux faire quelque chose. Mon feu, ce qui me passionne, c'est l'interaction temps réel. Nous sommes allés dans la VR parce qu'il y avait une opportunité énorme dans ce domaine : l'existence de manettes qui permettent des interactions beaucoup plus naturelles, beaucoup plus analogiques, qui offrent beaucoup plus de possibilités à l'interaction. Nous n'avons pas conçu la manette, elle a été notre opportunité ! Et il a fallu tout inventer, comme par exemple, le langage d'interaction autour de ces manettes, parce qu'il n'y avait pas encore d'état de l'art. Et donc là, tu te retrouves à nouveau face au vide. Et le rêve devient réalité (virtuelle : -) : j'ai mes mains dans le jeu, dans la même position que dans le monde réel, qu'est que je vais pouvoir en faire ? Cela offre énormément de possibilités. Trop. Alors tu filtres, par rapport à tes envies et en essayant. Il y a des choses dont tu rêves : ce serait génial de pouvoir manipuler des objets complètement physiques, de pouvoir les brancher les uns sur les autres. Et puis tu te rends compte que tu as des contraintes, qu'il y a des choses qui ne sont pas encore possibles technologiquement, ou qui vont te coûter énormément cher à réaliser et du coup, qui vont t'enlever d'autres choses à côté.
Les fails (les échecs) qu'on a eu, ce sont par exemple les écarts entre la perception qu'a le joueur de cette réalité virtuelle avec celle que tu pensais qu'il aurait : par exemple, tu n'as pas de retour haptique (pas de stimulation de la peau réelle résultant des mouvements actifs d'exploration de la main entrant en contact avec des objets virtuels), ou encore quand tu attrapes un objet, tu ne sens pas son poids : ça change tout ! Et ça, dans ton rêve, tu n'y as pas pensé : par exemple, tu avais l'idée de pouvoir lancer des objets. Mais quand tu lances un vrai objet, tu sens son poids. Tu ne le sens pas dans le virtuel. Donc, dans le domaine de l'interaction, c'est quelque chose qui va compter et qu'il faudra prendre en compte.
Quand on parle d'innovation, il faut parler de ruptures : elles ne sont pas toujours là où on pense. Les dernières que nous avons eues, dans le domaine du jeu vidéo, ont eu lieu, étonnamment, plutôt sur les business modèles. Le mobile y a fortement contribué. Et ces business modèles ont donc aussi changé complètement ce qu'est un jeu. Cette innovation n'était pas évidente à anticiper avant qu'elle débarque.
Sinon, des vraies disruptions, dans nos têtes, il y en a plein ! Mais il faut pouvoir les tester ! Le jeu vidéo aujourd'hui procède de façon très incrémentale, avec de temps en temps, des changements complètement radicaux. Le FPS était il n'y a pas si longtemps le Team Deathmatch Domination et maintenant c'est le Battle Royale ! Et le Battle Royale n'est pas arrivé par les gros, mais par les incrémentaux justement. Nous faisons encore de l'incrémental, mais je pense que ce que nous sommes en train de faire aujourd'hui est le support de la prochaine disruption.
J'ajoute que l'innovation, c'est aussi de ne pas attendre la permission. Je me souviens qu'à l'occasion de mon stage à Ubisoft, j'avais codé un truc sans l'accord de mon maître de stage, qui pensait que c'était une perte probable de temps, et puis il s'était avéré que c'était une super solution... Serge Hascoët l'actuel CCO d'Ubi s'en rappelle encore ! Mais quand le fait de se rebeller coûte trop cher, tu ne le fais pas, ou en tout cas, pas dans le cadre du travail, donc tu es obligé de baisser les coûts de quelqu'un qui a une idée, comment il peut faire pour la fabriquer : tu passes toujours par là sinon tu restes dans le blabla.
Un frein à l'innovation peut être l'industrialisation. Qui dit industrialisation dit uniformisation, donc avec des gens qui rentrent un petit peu plus dans des cases, qui se spécialisent, avec finalement, une place pour innover qui se réduit considérablement. L'industrialisation, c'est être capable de reproduire quelque chose, d'enlever les risques de refaire quelque chose. L'innovation n'est pas impossible, mais elle est plus limitée dans ce contexte.

Comment est portée cette innovation dans le studio ?

Je pense qu'aujourd'hui la stratégie d'innovation est portée tout en haut d'Ubi, donc pas localement. Elle est portée par le CCO (Chief Creative Officer), Serge Hascoët, qui lui, permet. Il adore les projets qui s'écartent de la norme, il laisse la chance. Et nous avons la chance d'avoir un président directeur général (Yves Guillemot) qui est un vrai entrepreneur, donc qui est capable de faire des paris : il est capable de les mesurer, il ne fait pas n'importe quoi. Il y a une place. C'est pour ça que nous, par exemple, nous avons pu faire le projet Space Junkies. Le deal, c'était que nous le fassions à des coûts qui permettent de se planter. Donc, cette stratégie vient de tout en haut. Je dirai qu'ensuite, elle est relayée par les équipes, par les gens qui vont faire. Dans nos studios, il y a des champions de l'originalité, de l'innovation. C'est culturel. Je ne crois pas qu'il y ait une stratégie formalisée dans le studio de Montpellier, mais je ne suis pas sûr que ce soit important [qu'elle le soit]. Le domaine dans lequel je me sens le plus à l'aise, c'est l'innovation technologique pour l'interaction temps réel. C'est très technique, même si - au final - cette technique doit s'effacer au profit de la perception qu'elle sert.

Pourquoi est-ce si important d'innover ?

Le projet sur lequel je suis aujourd'hui réunit quelque part les personnes qui se rebellaient contre cette industrialisation. L'idée c'est qu'aujourd'hui on fait des projets avec beaucoup de gens, donc comment est-ce qu'on fait pour faire des choses qui sont de grande qualité sans engager des sommes monumentales day-one ?
Tu te mets dans une position où tu es obligé d'inventer des choses, parce que ce n'est pas les méthodes habituelles, les moteurs habituels : c'est exactement le cas de notre projet actuel (Space Junkies). Nous sommes trois à avoir initié ce projet, Philippe Vimont, Adrian Lacey et moi. Ce que nous partageons depuis un moment, c'est que nous dépassons nos fonctions : nous n'avons jamais travaillé dans des cases, nous n'y arrivons pas. Normalement, je fais du game design et là, je code ; l'innovation, c'est aussi ça, c'est-à-dire pouvoir dépasser ton rôle et ta fonction. L'innovation réclame de la vitesse, celle de se planter rapidement. Donc si tu dois attendre d'autres personnes parce que c'est eux qui sont censés avoir la compétence, tu te retrouves toujours bloqué, tu perds ce momentum qui fait que tu ne peux pas vite apprendre de ton idée. Pour Space Junkies, on a commencé à trois, puis on a été rejoint, et ce qu'est le jeu aujourd'hui n'a plus rien à voir avec la vision qu'on avait au départ ! Et c'est normal qu'il y ait eu cette transformation.

Comment fais-tu pour innover ?

J'adore le concept de sérendipité (c'est le fait de réaliser une découverte scientifique ou une invention technique de façon inattendue à la suite d'un concours de circonstances fortuites et très souvent dans le cadre d'une recherche concernant un autre sujet). Donc, pour commencer, il faut créer un contexte favorable pour faciliter l'arrivée de cette découverte. Et tout tourne autour de ça, c'est-à-dire "comment créer ce contexte". Il y a plusieurs piliers (humains ou technologiques) à mettre en place pour le créer.
Le premier, c'est de créer une situation où l'on peut itérer très très vite. Et dans le jeu vidéo, on peut arriver à des temps d'itération de l'ordre de la seconde, voir du temps réel. On sait faire ça. Nos produits finaux, ce sont des jouets, donc il faut créer des outils, des technos qui sont des jouets. Quand tu es face à un jouet, tu as envie de l'essayer, de faire plein de choses avec, tu redeviens un gamin, et quand tu es un gamin, tu as un peu plus d'imagination, de liberté, tu vas essayer des choses qui sont interdites.
Le corollaire de ce premier pilier, c'est de développer plein de petits outils technologiques (datas, blocs, objets, interactions) plutôt qu'une grosse usine à gaz ou une cathédrale. Et ces outils doivent être combinables les uns avec les autres. C'est souvent la combinatoire qui induit la disruption. Et il faut avoir une méthode pour les combiner qui soit assez libre d'accès. La brique Lego est géniale pour ça. C'est un des objets préférés des game designer.
Le troisième pilier, ce sera le groupe de personnes : tu as besoin de gens autonomes, à qui tu peux laisser une grande part de liberté, qui sont motivés, qui sont experts dans un domaine qu'ils maîtrisent pour pouvoir s'amuser et être à l'aise. Nous demandons aux gens de fabriquer et de nous surprendre. Nous ne voulons pas de gens qui parlent, mais des gens qui font. Après, ils peuvent parler autant qu'ils veulent, tant qu'ils font ce qu'ils sont en train de dire.
Donc, nous, pour notre jeu, nous avons accueilli au fur et à mesure des débrouillards, des bidouilleurs, des gens qui ont fait plusieurs métiers, qui peuvent croiser plusieurs expertises, qui n'ont pas peur de réaliser leurs idées. Une fois ces piliers réunis, un autre élément très important, c'est de faire en sorte que tout ce qui est produit est mis au centre de la table, c'est-à-dire qu'il n'y a rien de caché. Comme l'idée c'est d'avoir plein de modules suffisamment robustes pour pouvoir être utilisés par tout le monde, tu les mets au centre de la table et les gens commencent à les prendre et à jouer avec, en les jetant partout, par terre, à essayer de les brancher, etc. Et bien, si ça ne tient pas, tu le sais rapidement. C'est un peu comme une forme de sélection naturelle par l'usage. Je crois beaucoup au bottom / up dans la conception : ça commence par en bas. Il n'y a pas de meilleur moyen d'éprouver tes inventions que de les mettre en pâture aux autres.
Au début, Philippe avait commencé à construire son moteur. Puis j'ai commencé à l'utiliser. Il y avait beaucoup d'échanges informels entre nous sur ce que nous faisions. Petit à petit nous avons fait des prototypes, nous les avons montré autour de nous. Ensuite, nous avons eu un mandat de notre direction pour continuer. Comme nous avions déjà des choses concrètes à montrer, nous avons pu pitcher avec pour obtenir ce mandat.
Et quand nous avons vu notre PDG, notre CCO, nous étions déjà quatre dans l'équipe et cela faisait quelques mois que nous avions démarré. Avec ce mandat, la direction te donne des perspectives à court terme à atteindre. Ensuite, si tu passes les jalons, la direction te donne de nouvelles perspectives, de plus en plus lointaines. Tu peux avoir des "No Go" au cours de cette progression. Je le redis, nous nous étions mis en position d'être sur des coûts projets qui nous permettaient de prendre plus de risques pour nous donner justement plus de temps et de liberté.
Dans le jeu vidéo, il y a quelque chose qui est en train de se produire, c'est qu'avec les Minecraft et autre Fortnite, les jeux sont fabriqués en live. C'est drôlement intéressant, ce concept. Ca veut dire que le feedback de la disruption, dans le cas de Fortnite Battle Royale, il arrive alors que le jeu est en live. C'est exactement ce principe dont je te parlais tout à l'heure, c'est-à-dire la mise en pâture de ton jeu directement face à son audience et de regarder comment elle réagit. C'est terrible, mais il n'y a pas mieux. Même si ça peut faire mal.

Allez, Sébastien, tu peux m'en dire un peu plus ?

Je ne crois pas à cette notion de processus pour l'innovation. Il y a plein de façon de faire. En design, le fond précède la forme, cependant il arrive aussi qu'on procède à l'inverse.
Un autre aspect important, c'est lorsque nous rencontrons des problèmes : ils sont mis sur la table, partagés avec le collectif. Et nous trouvons toujours des solutions. Ca commence toujours par accepter soi-même qu'on est bloqué, je le répète à l'équipe autant qu'à moi-même, je veux savoir où nous en sommes, il ne faut pas avoir de problèmes cachés, parce que ça peut bloquer tout le monde. C'est très important aussi de bien exprimer les problématiques. Comme on dit, "formuler correctement un problème, c'est déjà avoir la moitié de la solution". C'est ce que j'aime dans les maths, cette élégance à décrire un problème. Donc, la première étape, c'est de bien formuler le problème.
Ensuite, vient la confrontation. Cette phase est souvent très animée. Et en général, nous finissons par simplifier le problème, grâce à l'intelligence collective et il y a quelqu'un qui va le prendre pour le résoudre. Ou plusieurs personnes vont essayer plusieurs voies parce que nous ne nous sommes pas encore entendus sur toutes les possibilités. J'ai vraiment vécu ça dans cette équipe : être face à un énorme mur, et finalement, 2 à 3 semaines après, c'était résolu, alors que sur le moment, ça paraissait infranchissable. Et quand tu apprends à fonctionner comme ça, tu as une vraie confiance qui s'établit dans l'équipe, et ça, c'est génial, c'est hyper "trippant", ça fait que tu as vraiment envie d'aller bosser. Tu bosses avec des gens géniaux, qui vont te surprendre. Notre méthode ou processus, comme tu l'appelles, est elle-même en perpétuelle évolution.
Autre chose : nous n'avons pas assez parlé du "fail" : je "fail" 20 fois par jour, c'est un élément important dans la compréhension de ce que je fais, dans l'apprentissage, dans la réalisation. Ca donne un éclairage sur l'objet que je suis en train de construire. Enfin, nous faisons aussi beaucoup de playtests où nous faisons intervenir les joueurs. D'abord en interne, et après, en externe. Pour le projet actuel, nous sommes allés voir aussi des spécialistes de certains domaines, en fonction de nos besoins : au début, le jeu se voulait hyper réaliste dans l'espace, donc on est allé voir des gens de l'ESA (European Space Agency) ; puis quand nous avons été confronté à des problématiques d'inconfort lié aux mouvements VR, nous sommes allés voir des spécialistes de l'oreille interne. Nous avons réciproquement découvert plein de choses ! Nous les avons même aidé à confirmer certaines choses.
Dans le passé, j'ai eu l'occasion de participer à des innovations dont les produits étaient en avance sur leur temps : avec Philippe, on avait fait des systèmes de reconnaissance faciale, de déguisements en temps réels, 10 ans avant ceux de Snapshat. On n'avait pas la culture pour vendre ça à Ubi à l'époque, et le téléphone mobile n'existait pas. L'iPhone sortait alors qu'on était en train de le faire. On faisait ça à partir d'une Webcam, le contexte n'était pas bon. D'ailleurs, ça me fait dire que le contexte (du joueur) est quelque chose de très important, comme filtre à idée.
Pour résumer, notre secret c'est le faire-en-s'amusant, le fait de manipuler des choses de façon exploratoire, avec toujours ce plaisir de fabriquer. J'ai un problème de riche, car j'ai trop de trucs qui sortent, et que nous ne pouvons plus prendre en compte dans le jeu. Ce n'est pas comme la construction d'une cathédrale en 100 ans, avec 300 architectes, où tout est figé. Nous pouvons encore faire des remises en causes, des ajouts.
En revanche, je trouve que nous ne sommes pas allés assez loin dans la disruption. Nous sommes peut-être encore un peu timorés ; il nous manque un truc sur cette capacité de nous projeter encore plus loin à partir d'idées super simples qui nous amèneraient carrément dans des directions super intéressantes et qui n'ont pas encore été découvertes. Nous sommes encore dans la recombinaison de choses qui existent, donc dans des petites inventions.

Comment stimulez-vous l'innovation chez Ubisoft ?

Il y a des actions bottom / up, principalement. La stimulation vient de la création de ce contexte favorable dont je parlais tout à l'heure. Et quand tu réunis ces conditions, tu te trouves face au problème inverse : il y a trop d'idées, qui partent trop dans tous les sens.
Je me suis plutôt trouvé dans cette situation, c'est-à-dire à devoir, quelque part, censurer, filtrer les idées, parce qu'il y avait le risque d'être encore là dans 10 ans à tester des choses sans n'avoir rien sorti de concret. En fonction des phases du projet, tu filtres plus ou moins. Le meilleur filtre c'est encore la confrontation avec d'autres membres du studio. C'est pour ça que c'est important de s'entourer de personnes qui n'ont pas peur du vide, qui n'ont pas besoin que tu les cadres.
Nous avons eu la chance aussi d'avoir des gens dont c'était le premier boulot, donc nous avons pu les former, les éduquer à ça. Il fallait quand même sentir, détecter cette appétence là avant qu'ils nous rejoignent. Ce qui est génial dans notre jeu, c'est vraiment notre moteur temps réel : tu fais tout en temps réel, tu n'attends pas : ça devient tout de suite un jouet, une forme d'interaction. Un peu comme avec le Marshmallow challenge, où tu as des gamins d'écoles primaires qui battent des adultes expérimentés.
L'ambiance dans l'équipe doit avoir un côté jeu, en permanence. Dès que tu enlèves le côté formel, les personnes discutent entre elles plus facilement, et mettent en oeuvre leurs idées naturellement. On construit étage par étage, donc il ne faut pas non plus tomber dans la remise en question systématique des fondations, sinon tu n'avances pas. Il y a donc des choses sur lesquelles tu ne reviens plus parce que tu les as suffisamment éprouvées, elles sont assez solides. Le cadrage va se faire petit à petit de lui-même. Donc, une bonne façon d'animer cette phase c'est de supprimer les cadres. Quand l'équipe [de Space Junkies] s'est créée, on était déjà dans cet état d'esprit.

Un petit scoop, sur le futur proche ?

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Merci Sébastien, d'avoir partagé ta vision sur l'innovation.

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