Peggy Scansani et Alexis Deschamps
de l'ETPA
Interview du 16 novembre 2018 réalisée par rOmain Thouy
17ème article d’une série d’interviews réalisés sur la gestion de l’innovation dans le domaine des industries créatives (jeux vidéo, films d’animation) de la région Occitanie.
Peggy Scansani, directrice pédagogique adjointe de l’ETPA (Ecole de Photographie et de Game Design de Toulouse) et responsable de la section Game Design, avec Alexis Deschamps.
L’ETPA fait partie d’un réseau d’écoles créatives comprenant l’ESMA, l’ETPA, Ciné creatis, IPESAA, l’IFFDEC, Collège Salette et Collège Marsan présentes dans plusieurs régions : Toulouse, Montpellier, Rennes, Nantes, Lyon et Montréal.
Formation : Licence Science de l’Education à l’université du Mirail.
"Je m’occupe de la relation avec les professeurs et les étudiants, du recrutement des étudiants. Je m’occupe aussi : des progressions pédagogiques avec les professeurs, de l’organisation des différentes réunions, de la gestion des plannings, de la gestion de l’école dans son quotidien. Avec Alexis Deschamps, mon référent de section, nous travaillons tous les deux sur l’organisation de l’enseignement, son contenu, la progression pédagogique, les intervenants, l’organisation des Game Jams. En section Game Design, nous avons en 1ère année une soixantaine d’étudiants ; ils sont une trentaine en seconde année, et entre 25 et 30 en 3ème et dernière année.”
Alexis Deschamps, référent de la section Game Design et enseignant en Game Design (sur la 2nde et 3ème année) et en infographie 3D (sur les 3 années)
Formation : conception 3D de l’école ARIES 3D à Toulouse.
"Notre enseignement est basé sur un triptyque : Game Design, programmation et graphisme. Nous avons adapté notre enseignement pour que les connaissances de nos étudiants soient en adéquation avec ce que recherchent les studios. Avec Peggy, nous avons un rôle d’interface avec l’industrie : nous discutons beaucoup avec les professionnels, en allant à leur rencontre, l’objectif étant de mettre au centre de la table leurs besoins et attentes. Avec leurs retours, d’une année sur l’autre, nous adaptons nos contenus de formation et sa structure.”
- Leur 1er gros succès : ABADI Grand prix du meilleur Jeu étudiant - Indie Game contest (2017)
- Leur dernier gros succès : Sélection au PING AWARDS de Cendres (Promo 2017-18)
Bonjour Peggy & Alexis, tout d’abord, comment définissez-vous l’innovation dans votre domaine?
Bonjour rOmain.
A partir des échanges que nous avons régulièrement avec les professionnels, notre programme d’enseignement peut évoluer en tenant compte des innovations technologiques et conceptuelles que nous intégrons dans nos modes apprentissages. Nous faisons évoluer d’année en année nos progressions pédagogiques. C’est en quelque sorte notre définition de l’innovation.
A partir des échanges que nous avons régulièrement avec les professionnels, notre programme d’enseignement peut évoluer en tenant compte des innovations technologiques et conceptuelles que nous intégrons dans nos modes apprentissages. Nous faisons évoluer d’année en année nos progressions pédagogiques. C’est en quelque sorte notre définition de l’innovation.
L’innovation, c’est l’art de créer de nouveaux usages à partir d’éléments déjà existants. Nous n’allons pas réinventer la roue à chaque fois, le designer n’est pas quelqu’un qui crée de rien, mais c’est quelqu’un qui crée de tout, et c’est la manière dont il va raconter l’histoire sous différents prismes qui va faire évoluer les choses.
L’innovation n’est pas que technologique, elle peut aussi apparaître dans la manière dont nous racontons les histoires, donc au niveau du scénario, du story telling [littéralement le fait de raconter une histoire à des fins de communication], du visuel (design, direction artistique), dans le système de jeu ( par exemple, comme dans Mario Odyssey où la 2D et la 3D sont combinés dans un même niveau de jeu). L’objectif de ces innovations est toujours d'apporter plus de curiosité avec de nouvelles propositions.
Au niveau enseignement, nous sommes assez libres : nous avons la chance à l’ETPA de ne pas être sur une autoroute bordée, mais plutôt dans un immense terrain de jeu. Et nous pouvons prendre un ensemble de décisions qui nous semblent pertinentes, et, comme un laboratoire, nous allons d’abord constater pour ensuite appliquer. Nous avons remarqué, depuis 5 ans maintenant, que ce qui fonctionne avec les étudiants, c’est de les mettre face à une problématique. Si je me confronte à un problème et que je n’ai pas encore les compétences pour le résoudre, je vais me documenter, chercher, essayer des choses : cette démarche permet d’être créatif. Et très souvent, c’est là qu'apparaît l’innovation. Les étudiants nous surprennent par la manière dont ils s’approprient un sujet : il leur est demandé de faire fonctionner leur instinct, d’essayer de se confronter au problème. Après, bien entendu, nous apportons les compétences nécessaires. Cela fonctionne très bien.
Comment portez-vous cette innovation ?
En nous plaçant du point de vue de l’étudiant : au début, nous ne leur demandons pas d’être innovant, mais plutôt de prendre une posture, celle d’un designer. D’ailleurs, quand ils arrivent, ils ne connaissent pas vraiment la différence entre un designer et un artiste. En première année, les étudiants n’ont pas encore ces notions. Nous allons donc commencer par leur apporter un socle de culture générale autour du jeu, pour les préparer à la seconde année, qui elle est beaucoup plus technique. Nous ne leur demandons pas de trouver des gameplay émergents, ou d’utiliser des contrôleurs qui portent de l’innovation parce qu’à ce moment-là, je leur dis souvent que la technologie n’est qu’un outil, ni plus ni moins. La seule chose que va retenir un utilisateur, ce sera une expérience. Lorsqu’ils ont franchi cet obstacle, ils arrivent en 3ème année, et nous leur mettons entre les mains un certain nombre d’objets technologiques : carte arduino, leap motion, caméra kinect, casque de VR, gant haptique. Ces objets apportent un nouveau souffle pour leurs projets de 3ème année. Enfin, dans cette dernière année, nous laissons les étudiants en complète autonomie, et nous (les enseignants) devenons des consultants qui les accompagnent en leur laissant toujours le choix final pour tel ou tel type de solution. Et ils nous surprennent.
Nous sommes tous formatés : cela fait plus de 10 ans que je fais ce métier, 18 ans que je suis dans le jeu vidéo, et j’ai déjà moi aussi un background qui me formate dans mes décisions. Pas les étudiants, et c’est ce qui leur permet de prendre des décisions que nous ne prendrions peut-être pas.
Cette vision est portée par toute l’équipe enseignante. Celle-ci se réunit plusieurs fois dans l’année. Nous avons vraiment la volonté de permettre à l’étudiant de faire ce qu’il a envie, de pouvoir tester des choses, quitte à faire des erreurs. Par contre, nous sommes vigilants et nous ne laissons pas les étudiants aller au casse-pipe !
Il y a quelque chose d’important que j’enseigne dans mes cours de Game Design : c’est la notion d’échec. Au départ, c’est quelque chose de très traumatisant pour les étudiants. Donc, avec toute l’équipe pédagogique, nous avons réfléchi, il y a plus de 2 ans, à comment nous pouvions dédramatiser cette situation, qui très souvent, dans les cas les plus extrêmes, peuvent pousser l’étudiant à se remettre en question, à se demander s’il a fait le bon choix de faire ce métier. Pour pallier à cette situation, nous les mettons très tôt à la réalisation d’un jeu. De cette manière, les étudiants vont réaliser 5 projets sur les 3 ans : la 1ère année, ils sont seuls ; la 2nde année, ils seront par équipe de 4 ; la 3ème année, ils seront par équipe de 6 à 8 étudiants. Nous allons les challenger sur une plateforme, une technologie qu’ils ne connaissent pas et par conséquent, ils doivent trouver des solutions, car notre métier c’est pour beaucoup une “activité de résolution de problèmes”. C’est à ce moment que ressortent très souvent des solutions émergentes, hors des sentiers battus, du cadre établi. Cela vient aussi lors des playtests (activité centrale dans notre pédagogie) et de l’utilisation créative des joueurs, lorsqu‘ils s’approprient le jeu. Et cette façon de procéder va apporter de l’innovation, et nous conduire vers d’autres réflexions que nous ne pouvions pas avoir seul.
Pourquoi est-ce si important d’innover ?
Pour nos étudiants ! Nous devons beaucoup innover sur notre façon de rentrer dans le tissu industriel. Et nous devons rester connectés à l’évolution des technologies. Mais pas seulement. L’an dernier, nous avons eu un jeu narratif nominé aux Ping Awards, qui s’appelle Cendres. Ce jeu est innovant dans la façon dont il raconte l’histoire de façon interactive.
Comment faites-vous pour innover ?
Nous enseignons les méthode agiles aux étudiants. Nous proposons aussi du Zen Design dans un cours, et son opposé, à savoir, comment rationaliser son concept. Nous ouvrons très largement les méthodes, en proposant aux étudiants de brainstormer, de se documenter, d’explorer autant qu’ils le veulent puis ensuite, nous resserrons pour rentrer dans quelque chose qui est industriellement réalisable : c’est de la contrainte que va naître l’innovation. Nous abordons tout cela en cours de Game Design.
Pour innover au niveau de l’école et de l’équipe enseignante, nous faisons des réunions pendant l’année. A chaque fin d’année, le jury de professionnels que nous avons réuni pour les étudiants nous fait ses critiques et recommandations sur les différents projets. Nous exposons tous les retours du jury (forces et faiblesses) à l’ensemble de l’équipe pédagogique. Cela fait l’objet d’une grosse réunion de fin d’année. A cette occasion, le devoir de vacances qui est demandé à tous est le suivant : pour la grosse réunion de rentrée, chacun doit préparer des propositions d’améliorations par rapport à ce dont nous avons discuté et retenu de l’année précédente. Ces 2 réunions conséquentes permettent d’initier notre processus d’innovation : bilan année n-1 et propositions année n+1. Et quand il y a débat et qu’aucun consensus n’est trouvé, les propositions sont soumises au vote.
Pour avoir un meilleur partage de l’information entre nous, nous utilisons beaucoup d’outils collaboratifs en ligne. C’est Peggy qui met à disposition les documents, qui les organisent par thématique sur un répertoire partagé. Il y a les thèmes suivants : gestion de la formation, gestion des compétences, les référentiels, les retours de jury de fin d’année. Comme les jurys de fin d’année sont composés uniquement de professionnels, l’équipe pédagogique s’efface à ce moment-là : cela inquiète beaucoup nos étudiants en général ! Nous les accompagnons pendant 3 ans, mais le dernier jury qui valide une partie de leur diplôme est constitué uniquement de professionnels : c’est notre particularité. Ces professionnels viennent de studios AAA ou de studios indépendants, de fabricants de solutions utilisées en production professionnelles. Il arrive que certains d’entre eux interviennent pendant l’année, sous forme de workshops ou de cours ponctuels sur des sujets très particuliers. Par exemple, nous avons organisé une journée d’entretien avec un studio en particulier, pour des stages d’étudiants. Et le représentant du studio a fait un retour constructif à chaque étudiant qui avait passé un entretien avec lui.
Comme nous l’avons dit, le jury de fin d’année évalue aussi l’équipe pédagogique. Pendant les délibérations, ce dernier nous adresse les points et critères d’améliorations. Ces observations font l’objet d’un document et partagées avec toute l’équipe. Peggy et moi en faisons une présentation pour tout le monde en septembre (un mois avant la nouvelle rentrée). Ensuite, ce document évolue pendant l’année en cours, sachant que les changements ne seront pris en compte qu’à la rentrée suivante (pas en cours d’année). En résumé, le bilan de l’année n-1 permet des changements pour l’année n+1.Nous sommes toujours dans un processus d’autoévaluation. C’est ce processus qui nous fait innover.
La direction intervient quand il faut trancher ou valider certains aspects qui nécessitent son intervention.
Toutes ces rencontres entre enseignants nous permettent de fédérer l’équipe pédagogique : nous avons des enseignants qui sont là depuis 3 ans, comme d’autres depuis seulement un an. Et comme tous ne sont pas issus du jeu vidéo, il est très important de partager la même vision. Nous avons des enseignants dans le domaine de la communication ou du film d’animation qui n’ont pas cette culture de l’industrie du jeu vidéo ; ils apportent un autre regard et co construisent avec nous une formation beaucoup plus riche que si cette formation était réalisée uniquement avec des personnes toutes issues du même milieu, qui réfléchissent toutes de la même façon. Cette diversité de réflexions qui va amener de l’innovation.
Allez, Peggy & Alexis, vous pouvez m’en dire un peu plus ?
Nous pouvons donner quelques exemples. Le cours de Game Design est gamifié : comme dans un niveau de jeu, nous commençons toujours par des informations assez facile d’accès, et petit à petit, nous revenons toujours sur ces informations, que nous creusons de plus en plus pour aller toujours plus profond. Nous mettons systématiquement les étudiants en situation, nous les faisons pratiquer.
Les étudiants sont très différents les uns des autres : il y en a qui sont très sûrs d’eux et beaucoup d’autres qui ne le sont absolument pas. Pour ceux qui n’ont pas confiance en eux, il faudra les aider à aller au bout de leur choix, même si l’interlocuteur n’est pas d’accord : il ne faut pas s’effondrer mais expliquer ses choix et les assumer. Nous en revenons toujours à la différence entre le designer et l’artiste. C'est précisément à nous de le faire glisser de la posture de l’artiste, tout seul avec sa proposition unique, vers celle du Game Designer qui doit être ouvert et qui doit s’adapter à sa cible. Un jeu vidéo a vocation à être confronté aux autres et ne peut pas être développé tout seul. Le Game Designer doit comprendre pourquoi quelque chose ne fonctionne pas et il doit faire des choix par rapport à son analyse. Il ne doit pas s’offusquer des remarques désobligeantes, mais bien les prendre en compte : d’où la nécessité de laisser l’ego de côté le plus tôt possible. Il est impossible de prendre ce type de décision si vous êtes convaincu que vous avez raison. Pour les aider dans cette voie, je montre aux étudiants les FailCon, ces retransmissions vidéo de conférences données par des grands chefs d’entreprise sur des échecs qu’ils ont vécus.
Comment stimulez-vous l’innovation au sein de votre section de l’ETPA ?
La première chose qui me vient, c’est d'encourager la prise de risque, donc le fait de sortir de sa zone de confort. La seconde, c’est que nous avons la chance d’avoir une école pluridisciplinaire, avec des photographes, du cinéma d’animation, du design graphique. Tous ces étudiants s'entrechoquent en permanence, à l’occasion d’expositions photo, de game jams, etc., de multiples événements, qui les stimulent et enrichissent constamment.
Donc, d’un côté nous les forçons à sortir de leur zone de confort, et de l’autre, il y a ce métissage des promotions et métiers que nous avons dans l’école.
Nous faisons une Game Jam officielle par an, et nous encourageons nos étudiants à participer à tous ce qui peut ressembler à un événement où ils peuvent mettre à profit leurs compétences : c’est stimulant et très formateur de se confronter, dans un temps très courts, à autant de problèmes et à travailler à leur résolution avec des gens que l’on ne connaît pas. C’est une aventure humaine ! Ils sont donc obligés de réinvestir toutes les compétences qu’ils ont acquises pendant la formation. Et cela leur permet aussi de se jauger, de prendre confiance, d’avoir une vision d’eux-mêmes au sein de la production, une vision des autres, de trouver leur place. Dans la Game Jam que nous organisons, nous invitons aussi des étudiants de cinéma d’animation 3D, pour qu’eux découvrent ce que font les Game Designers, et inversement.
Côté école, cette année nous avons créé un groupe d’anciens étudiants sur Linkedin, pour leur proposer des offres de stages et d’emplois, et pour suivre leur carrière. Nous sommes aussi en train de développer un partenariat avec les Women In Games [association professionnelle œuvrant pour la mixité dans l’industrie du jeu vidéo en France, au travers d’actions variées, comme des formations, des rencontres, des sensibilisations, de l’éducation et de l’entraide] pour mieux aider et accompagner nos étudiantes.
Il y a aussi notre participation aux Ping Awards, qui nous permet de faire de belles rencontres, et de trouver de futurs intervenants pour nos formations. Nous sommes également abonnés à Jeux vidéo magazine, à l’AFJV, pour rester bien informés.
L’innovation, les nouvelles technologies, je les côtoie beaucoup à côté, dans ma seconde vie, et je les apporte avec moi dans mes cours, comme c’est le cas d’ailleurs pour tous les enseignants qui ont aussi une activité professionnelle en dehors de l’école.
Je donne aussi des conférences en université : la dernière, c’était à Sorbonne Nouvelle. Je suis aussi dans le domaine des Serious Games où il y a beaucoup d’intervenants qui nourrissent énormément de réflexions, comme Mathieu Triclot ou Sébastien Genvo, qui apportent des points de vue très intéressants sur le jeu, d’un point de vue philosophique et psychologique. En ce qui concerne les aspects technologiques, j’ai une cellule de R&D dans ma société puisque je développe pour le jeu vidéo sur un axe B to B et pas B to C. Je fais de l’arcade et des jeux vidéo à but publicitaire ou pédagogique, avec les dimensions de réalités augmentées, virtuelles ou mixtes et tous les éléments hardware comme les gants haptiques, etc.. Tout cela est réinvesti auprès de nos étudiants. Nous avons pu l’expérimenter, donc nous le proposons aux étudiants. Les étudiants eux-mêmes proposent aussi des choses nouvelles qu’ils ont pu voir, sur tel ou tel forum, tel ou tel kickstarter. C’est un cercle continu.
Un petit scoop, sur le futur proche ?
Plusieurs, même !
- Nous vous donnons rendez-vous pour notre seconde journée Portes ouvertes le 30 Mars prochain, de 10h à 18H !
- Le recrutement des futurs Game Designer a commencé et bat son plein !
- Nos étudiants vont participer à la GACHA de Montpellier ( en partenariat avec UBISOFT),
- L’école sera présente au grand salon des influenceurs, leTUBECON de Toulouse,
- Le grand Prix de l’école (où les jeux des étudiants seront présentés à des professionnels d'Ubisoft, de Larian Studio, de Caycedo...) se déroulera le jeudi 27 Juin,
- Et enfin, un des projet étudiants de l’année dernière « CENDRES » a quitté le stade de projet étudiant pour devenir un projet d’entreprise.
Merci Peggy & Alexis d'avoir partagé votre vision sur l'innovation.
#ParlonsDInnovationAvec