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jeudi 9 janvier 2020

Parlons d'innovation avec...

Jesse Himmelstein de Play Curious


Interview du 29 novembre 2019, réalisée par rOmain Thouy


29ème article d’une série d’interviews réalisés sur la gestion de l’innovation dans le domaine des industries créatives (jeux vidéo, films d’animation) de la région Occitanie.

Jesse Himmelstein, co-fondateur et développeur du studio Play Curious. Ce jeune studio se spécialise sur le développement de jeux de vulgarisation scientifique et technologique. Il vient de sortir une version beta de son 3ème jeu : BlockChain Battle, qui permet de comprendre simplement les principes de bases de la blockchain. Pour y parvenir, le joueur incarnera Draper, un hacker expert en cryptographie en cyber sécurité. Ses premières missions seront de tester la sécurité de la cryptomonnaie Octor.

Formation : Doctorat en robotique.

  • son 1er jeu : Sporks Up! un jeu pédagogique pour comprendre ce qui est dans les aliments.
  • son 1er gros succès : RPS Ultimate Fighting Championship n’a pas été un succès commercial, mais c’était un travail assez bien realisé entre moi, Jean-Christophe Letraublon, et Quentin Jouret, qui nous as aussi fait les illustrations sur Quartier des Légendes.
  • son dernier gros succès : Ce n’est pas encore un gros succès, mais je suis assez fier de Blockchain Battle car nous avons pu communiquer sur un sujet assez complexe avec intrigue et humeur.
"Avec Jean-Christophe Letraublon, nous avons créé le studio Play Curious en janvier 2018. J’étais programmeur à la base, après avoir fait une thèse en robotique, mais j’ai toujours eu envie de travailler dans le jeu vidéo. A l’époque, il n’y avait pas ou peu d’entreprise qui faisait cela dans la région de Toulouse. J’ai commencé à travailler dans la réalité virtuelle, puis je suis parti sur Paris, dans le jeu vidéo éducatif. Ma thèse m’a aidé à travailler dans ce domaine, notamment grâce aux aspects recherche. Cette activité m’a permis de découvrir un peu plus la scène du jeu vidéo indépendant que je ne connaissais pas vraiment avant.
"Pendant que j’étais à Paris, j’ai monté un petit club qui s’appelait le Gamelier, où se réunissaient plein de professionnels du jeu pour parler de techniques de développement, de post-mortem de jeu, de graphisme, d’audio, de storytelling; nous organisions des game jams, nous allions à des festivals de jeux vidéo. Puis, en avril 2018, il s’est monté l’UPVD IN CUBE, un incubateur d’entreprise sur Perpignan où je réside. Nous y avons présenté notre projet de studio, qui a été accepté. Et depuis maintenant presque 2 ans, nous apprenons comment gérer un studio , une entreprise, comment créer un jeu, le commercialiser, gagner de l’argent avec, etc..
"Nous sommes un petit studio de 3 personnes en ce moment. Nous étions plus nombreux cet été, car nous avons accueilli des stagiaires. Nous travaillons pour Play Curious à mi temps, à peu près, et aussi à côté pour pouvoir payer nos factures. Je fais de l’enseignement et de la programmation à distance.
"L’ADN de Play Curious ? C’est la vulgarisation scientifique et technologique. Nous pensons qu’avec le jeu vidéo, il est possible d’aller beaucoup plus loin dans cette démarche. Nous nous sommes dits que nous pouvions faire des petits jeux, rapides, et que nous pourrions les sortir plus souvent. Le premier jeu était autour de la pêche et des biens communs (en économie), le second sur la théorie du complot (à propos de la radicalisation sur internet) et le 3ème pour la blockchain. C’est un sujet que j’ai voulu traiter suite à une lecture très intéressante que j’ai faite d’un papier qui en parlait. Et au même moment, j’ai vu passer un appel à projet qui proposait de créer du contenu médiatique sur la blockchain. Nous nous sommes dits que ce serait intéressant de développer un jeu autour de cela. Voilà comment est né Blockchain Battle, le jeu sur lequel nous travaillons concrètement depuis mars 2019. J’avais conceptualisé le jeu avant, mais c’était léger. L’idée du jeu était de donner au joueur la possibilité de faire ce que fait un ordinateur dans la blockchain, et nous avons trouvé le contexte scénaristique pour cela : le joueur incarne un hacker à qui l’on demande de tester la sécurité d’une nouvelle crypto monnaie : Octor. Nous avons travaillé avec un super narrative designer qui s’appelle Ronan Le Breton qui a apporté plein d’éléments intéressants au jeu.

Bonjour Jesse. Tout d’abord, comment définis-tu l’innovation dans ton domaine?

Bonjour rOmain.
Même s’il y a l’innovation technologique, poussée par les progrès du graphisme, de la gestion de la physique dans les jeux, les interfaces, la réalité virtuelle, le son 3D, etc., il y a aussi l’innovation en terme de gameplay et c’est clairement celle qui m’intéresse le plus. Cela revient à répondre à la question : comment peut-on créer de nouvelles expériences de jeu ?
Il y a aussi l’innovation de contenu, mais celle-ci est peut être liée à celle de gameplay, du coup.
Ce que j’aime vraiment, dans le jeu vidéo indépendant, c’est que cette communauté est prête à tester plein de nouvelles choses, aussi bien au niveau scénaristique et histoire qu’au niveau des interactions.

Comment portes-tu cette innovation ?

Notre démarche d’innovation consiste à proposer un format court au joueur, qui lui permette de jouer sur une courte durée, le plus facilement possible, sur son téléphone, par ex.. Pour illustrer mon propos, je peux ajouter que c’est dans le même esprit que les vidéos tutos courtes en ligne que l’on peut voir sur YouTube, mais qui seraient déclinées sous un format de jeu, donc avec de l’interaction.
Nous explorons le marché de créer des jeux pour les entreprises en utilisant le même format mais sur une thématique d’innovation pour une entreprise. C’est le domaine de prédilection de Jean-Christophe.

Pourquoi est-ce si important d’innover ?

Le challenge dans ce que nous faisons consiste à réussir le mariage entre la pédagogie et le gameplay. C’est le cas pour tout type de jeu qui a la vocation de faire passer un message réel. Cela t’amène plein de contraintes supplémentaires. Il faut s’amuser et apprendre quelque chose de réel. Pour Blockchain Battle, le challenge c’est d’avoir compris, à la fin du jeu, comment fonctionne une crypto monnaie et pourquoi elle fonctionne ainsi (la signature numérique, pourquoi il y a un hash, etc.). Ces contraintes nous poussent à explorer beaucoup d’idées. A cela s’ajoute aussi la contrainte du petit écran (mobile).
Quand j’étais à Paris et que je travaillais sur des jeux éducatifs, j’ai vite compris que cela ne marchait pas de prendre d’un côté un jeu et d’y ajouter, de l’autre, un quizz pour en faire un jeu éducatif !
En revanche, c’est beaucoup plus intéressant de faire en sorte que pour terminer le jeu, le joueur soit obligé d’utiliser des connaissances acquises juste avant.

Comment fais-tu pour innover ?

Nous n’avons pas de processus vraiment formel !
Comme j’étais un peu à la base du projet, j’ai eu les premières idées. Puis j’ai discuté avec Ronan et il y a eu une démultiplication d’idées. Il y a eu aussi les échanges avec Jean-Christophe : une de ses forces est de savoir très bien expliquer un concept dans une courte vidéo. Du coup, dans le jeu, avant chaque niveau, il y a une petite vidéo qui explique très simplement et rapidement une partie du concept de la blockchain, suivie, juste après, d’une utilisation de ce concept dans le niveau de jeu. Cela fonctionne bien car nous expliquons des choses qui seraient difficiles à comprendre autrement.
Au départ de chaque concept, j’avais rédigé une page complète de texte ! Et Jean-Christophe est arrivé et il a réduit, réduit, réduit jusqu’à seulement 10 lignes de texte, dans lequel chaque mot était bien pesé. Il a l’expérience pour créer des vidéos d’1 mn à 1 mn 30, pas plus. Je suis très satisfait du résultat et je n’aurai pas pu faire cela tout seul.

Allez, Jesse, tu peux m’en dire un peu plus ?

Un processus de résolution de problème, que j’ai découvert il y a quelque temps, est le Hammock Driven Development. Son inventeur, Rich Hickey, qui est un peu mon idole, a aussi inventé un langage de programmation qui s’appelle Clojure, pour ceux qui connaissent. Son idée d’Hammock Driven Development s’inspire du fait que quand nous voulons nous concentrer sur un problème, nous utilisons notre conscience, et cela fonctionne très bien pour nous concentrer sur un truc en particulier, pour analyser d’un point de vue logique, et faire des petites améliorations. En revanche, notre conscience a du mal à faire les associations entre plein d’éléments différents. Pourtant, c’est de ces associations que naissent les idées les plus créatives ! Par contre, notre inconscient est capable de faire cela très bien, sauf qu’il est très difficile de contrôler l’inconscient (par définition) ! C’est ce qui explique que nous ayons de meilleures idées sous la douche le matin… Le concept de Rich Hickey consiste à mettre tout ce qui concerne un problème complexe à résoudre sur un même document et de parcourir tous les éléments du document (donc du problème à résoudre) juste avant de se coucher. Et il dit qu’une fois sur deux, le lendemain matin, la première idée qui vient est une bonne solution au problème qu’il avait la veille. Cela m’a beaucoup inspiré. Même si je ne le fais pas à 100%, j’utilise la même démarche quand je bloque sur quelque chose.
Un autre processus important que j’ai suivi a été le prototypage.
J’avais lu un livre sur le prototypage papier et c’est le format que j’utilise le plus pour prototyper. Je peux te montrer mes essais et recherches pour Blockchain Battle avant de coder le jeu.




Ensuite, après avoir mesuré la taille de l’écran de mon téléphone, j’ai imprimé des petits bouts de texte. Je jouais le rôle de l’ordinateur : quand il y avait du texte, je le lisais à haute voix, je détaillais à l’oral ce que je faisais sur l’écran, ce qui apparaissait dessus. Cela fonctionnait très bien, c’est très rapide pour vérifier des choses.
J’ai fait tester le jeu autour de moi avec ce prototype papier. Si tu veux, je peux te montrer le plan du prototype papier versus l’écran final !

Ecran de menu papier :
 Ecran de menu dans le jeu :

Ecran de Réseau papier :
Ecran Réseau dans le jeu :


Des écrans transactions en papier :
Ecran transaction dans le jeu :

Le prototypage papier a très bien fonctionné : je suis très content que nous ne nous soyons pas lancés avec le premier prototype, qui était très mauvais ! Nous nous sommes rapidement rendus compte des contraintes liées à l’écran. Nos premières idées utilisaient beaucoup le glisser/déposer et nous avons vu que c’était compliqué à gérer en même temps l’affichage des textes. Nous avons dû changer très rapidement de direction et nous sommes allés vers le copier/coller. Nous avons économisé beaucoup de temps grâce à ces prototypes papiers.
Nous avons fait ensuite quelques prototypes numériques lorsque nous avons commencé à coder.
Comme l’appel à projet que nous avions remporté était destiné à des collégiens et lycéens, il a fallu que je trouve des adolescents autour de moi pour tester (ma fille était encore un peu trop jeune). Et j’avais un ami, à Perpignan, qui est professeur d’informatique en lycée. Je suis allé un jour dans ses classes pour tester le jeu avec ses élèves. Je pense que pour plus tard il faudra que j’ai un processus plus rigoureux pour réaliser les playtests. Il faudrait que je trouve un meilleur rythme, voir même que ce ne soit pas moi qui les déroule : c’est difficile de faire les playtests soi même. Avec un meilleur processus, comme des joueurs qui viendraient jouer toutes les semaines ou une fois par mois, ou des groupes de gens différents, nous aurions détectés certains problèmes beaucoup plus tôt.

Comment stimulez-vous l’innovation chez Play Curious ?

Nous pratiquons une démarche scrum, avec un daily rituel pour toute l’équipe. C’est aussi très stimulant de travailler avec nos partenaires. Nous avons collaboré avec Science Animation, qui est une association de vulgarisation scientifique de l’innovation basée à Montpellier et Toulouse; avec la fondation qui participe au financement du projet et qui s’appelle France IOI (dont l’objectif est de faire découvrir la programmation et l'algorithmique au plus grand nombre de personnes possible). Ils nous ont donné des retours sur le projet Blockchain Battle une fois que l’on avait déjà développé une partie du jeu. Pour le jeu sur la théorie du complot, nous avions été en lien avec un chercheur qui travaillait dans ce domaine.
Je lis pas mal de blogs (comme Ars Technica, les présentations de la GDC, Gamasutra), sur la programmation et le jeu vidéo. Quand j’étais à Paris, j’ai appris beaucoup de chose avec le club Gamelier que j’avais créé : il y a avait toujours quelqu’un qui parlait de son projet en cours, il y avait beaucoup d’échanges. J’ai ressenti ce même sentiment lorsque je suis allé au festival du jeu vidéo à Berlin, qui s’appelle A MAZE. C’est vraiment un super festival, je te le recommande ! C’est très stimulant et ça donne plein de nouvelles idées. Il y a des jeux vidéo vraiment barrés avec des côtés artistiques poussés à fond, etc.. Depuis que j’ai quitté Paris, c‘est plus compliqué d’organiser ces évènements. Récemment, nous avons organisé une game jams à Perpignan. J’aimerai qu’il y ai des rencontres plus régulières, comme une fois par mois, par ex., pour échanger et tester des choses avec les autres. Je pense que c’est plus compliqué qu’à Montpellier car il y a moins de studio.

Un petit scoop, sur le futur proche ?

Nous voudrions faire un jeu sur les énergies renouvelables, sur l’exploration spatiale. Vous pouvez nous suivre sur facebook, Twitter, Linkedin, mais aussi, et surtout, sur notre site web.

Merci Jesse, d’avoir partagé ta vision sur l’innovation. Très bonne continuation !

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