Recherche dans les articles

mardi 18 février 2020

Parlons d'innovation avec...

Romain Teyssonneyre de TAT Productions


Interview du 31 janvier 2020, réalisée par rOmain Thouy


33ème article d’une série d’interviews réalisés sur la gestion de l’innovation dans le domaine des industries créatives (jeux vidéo, films d’animation) de la région Occitanie.

Romain Teyssonneyre, directeur technique chez TAT Productions. TAT Productions est un studio de production de film d’animation pour la télévision et le cinéma. Installé à Toulouse, il a été créé en 2000 par David Alaux, Éric Tosti et Jean-François Tosti. Ses productions sont diffusées dans plus de 200 territoires et traduites dans plus de 40 langues. Depuis 2012, le studio a produit 3 saisons des As de la jungle et ses 2 premiers longs métrage pour le cinéma, les As de la jungle, et son petit dernier, Terra Willy, sorti en avril 2019.

Formation : DUT en informatique de gestion et DUT en informatique Imagerie Numérique. Puis, ESIA 3D.
"J’ai fait des études en développement informatique dans 2 IUT : le premier, en informatique de gestion et le second, en informatique Imagerie Numérique. Mais je ne me voyais pas faire du développement tout le temps, du coup, après l’obtention de mes diplômes, j’ai fait une école d’art à Lyon, l’ESIA 3D. Après l’école, j’ai fait un peu de freelance sur Lyon, pour j’ai bossé pour de la publicité et j’étais à la maison des artistes. Je galérais un petit peu. J’ai bossé en freelance pour Vanilla Seed, un petit studio de 4 personnes, qui travaillait pour TAT Productions sur une mission de suivi technique de projet. TAT voulait absolument quelqu’un de présent sur Toulouse. Comme Jean-François Sarazin, le boss de Vanilla Seed, ne pouvait pas venir sur Toulouse, c’est moi qui y suis allé. Pendant les 5 ou 6 premiers mois, j’ai eu beaucoup d’aide de Jean-François sur la mise en place de leur premier pipeline de production. Et finalement, TAT Productions m’a gardé à la fin du projet et m’a proposé le poste de directeur technique.
"Ils avaient déjà fait un projet mais l’ancien directeur technique n’était pas resté. Le studio avait besoin de structurer un peu mieux les aspects techniques, notamment sa gestion des fichiers des projets (c’était en 2008/2009). A l’époque, le studio était composé d’une quinzaine de personnes. J’ai participé au tout premier pilote (d’une durée de 2 mn) des As de la jungle, celui qui a été utilisé pour vendre la série. Puis nous avons démarré les premiers projets autour des As de la jungle. Un premier 52 minutes, qui s'appelait Opération banquise. Nous étions alors une soixantaine à travailler sur ce projet, dont 15 personnes localisés au studio. J’avais une quinzaine de casquettes, ça allait du suivi de production à l’installation des machines, en passant par faire du setup sur certains personnages, etc.. J’ai vraiment touché à tout, j’ai appris énormément de choses et j’étais régulièrement débordé. Je peux dire que j’ai grandi avec le studio. Même si je n’ai jamais vraiment fait de développement, le fait d’avoir fait un IUT d’informatique m’a beaucoup servi, en particuliers pour comprendre comment marchent les machines et le développement.
"En tant que directeur technique du studio, je suis responsable aujourd’hui de la mise en place et de la maintenance du pipeline du studio pour tous les films. Depuis peu de temps, j’ai 2 collègues qui m’aident, un qui est plutôt dédié aux assets et un autre plutôt aux plans, qui sont 2 grosses étapes dans la production d’un film d’animation. Au quotidien, j’ai 2 ou 3 casquettes, dont celle de faire en sorte que tout le monde dans le studio puisse travailler dans des conditions optimales, aussi bien logicielle que matérielle, et je fais constamment de la recherche pour améliorer notre pipeline.

Bonjour Romain, tout d’abord, comment définis-tu l’innovation dans ton domaine ?

Bonjour rOmain. Je dirai que c’est d’essayer de rester au niveau des autres studios et du marché. Pour cela, il faut tout le temps nous remettre en question pour progresser dans ce que nous faisons. Nos projets ont toujours été et sont toujours très ambitieux. Nous étions un petit studio français et maintenant nous visons l’international, avec l’envie d’aller chatouiller des grands comme Disney, Pixar, etc.. Nous n’avons clairement pas les mêmes moyens, donc il nous faut innover pour pouvoir y prétendre !

Comment portez-vous cette innovation chez TAT ?

Historiquement, le studio misait peu sur l’innovation. Sa stratégie était plutôt de s’appuyer sur les logiciels du marché et de faire tout ce qui était possible en les poussant à l’extrême. Petit à petit, nous nous sommes rendus compte que c’était bien mais que cela avait très rapidement ses limites. Et donc nous avons embauché des développeurs qui fabriquent la plupart des gros outils que nous utilisons et qui correspondent parfaitement à nos besoins. Nous les faisons évoluer en même temps que le studio, en fonction des projets et des demandes que nous avons.
Le premier poste de développement de nos propres outils a été créé en 2012 et il y a aujourd’hui 3 développeurs. Nous essayons aussi d’avoir une vision à plus long terme, en détachant certaines personnes des projets pour mener des réflexions de fond sur le futur. J’avais comme casquette de travailler sur cette vision et cette R&D, mais ce n’était pas compatible avec mes activités courantes, d’où le renfort des collègues dont je t’ai parlé : ils prennent en main les problèmes quotidiens, et moi, je peux libérer un peu plus de temps pour me concentrer sur ces travaux de recherche.

Pourquoi est-ce si important d’innover ?

Comme je te l’ai dit : pour pouvoir rivaliser avec les plus grands !

Comment faites-vous pour innover ?

En lançant des projets internes. C’est le cas, par exemple, de ce projet de migration de notre logiciel de compositing. Nous y travaillons depuis 6 mois. Nous sommes actuellement sur After Effects et nous voulons passer sur Nuke. Il y a des graphistes qui ont les mains dedans, et moi je les aide à avoir cette réflexion à long terme afin d’arriver à faire rentrer ce nouveau logiciel dans le pipeline. C’est un gros projet. Il y a plein d’autres projets comme cela : il y a des logiciels que j’aimerai essayer pour l’animation ou pour d’autres choses. Il faut que j’arrive à me dégager du temps, pendant 2 ou 3 semaines pour les étudier et écouter la communauté qu’il y a autour. Idéalement, il faudrait que j’arrive à un équilibre de charge type de 50/50 entre les projets R&D et le studio.
Si je reprends l’exemple du projet de changement de logiciel de compositing, nous l’avons fait en 2 étapes :dans un premier temps, nous avons acheté une licence pour le tester et l’estimer très rapidement, juste pour savoir si cela valait le coup d’investir du temps dessus. Nous sommes partis dessus tête baissée, sans formation, juste pour voir ce qu’il avait dans le ventre. Ensuite, collectivement, nous avons décidé d’investir plus de temps sur ce projet. La décision a été prise par le directeur du studio, le directeur technique (moi-même) et le ou les départements concernés par le projet. Dans le cas précis de ce projet de migration, nous avons décidé d’attendre que les équipes concernées soient en pause quelques mois pour pouvoir lancer la seconde étape, avec dans l’idée que nous allions changer de logiciel. Le projet n’était plus le même : l’étape 1 était purement prospective alors que l’étape 2 était plutôt du type “comment allons-nous mettre en oeuvre ce changement et quels seront ses impacts sur nos pratiques et process”.
Pour l’assistance quotidienne, mon équipe technique utilise un Gitlab [logiciel libre de forge basé sur git proposant des fonctionnalités de wiki, de suivi des bugs, d’intégration et de livraison continue] dans lequel nous gérons les tickets de demandes des équipes. Nous nous en servons également pour gérer les sujets de recherche à faire ou en cours. Cela nous permet aussi d’attribuer quelqu’un sur ces sujets, et j’y ajoute, en général, des axes de recherche. Je gère le suivi de ces sujets et leur mise en oeuvre.

Dans la vidéo qui suit, Romain nous propose de voir le making of de Terra Willy :
 

© TERRA WILLY
TAT productions, Bac Films Production, France 3 Cinéma, Logical Pictures, Master Films  2019
© TERRA WILLY
TAT productions, Bac Films Production, France 3 Cinéma, Logical Pictures, Master Films  2019

Allez Romain, tu peux m’en dire un peu plus ?

Nous faisons assez régulièrement des débriefes avec les équipes, et systématiquement en fin de projet. Par exemple, en fin de projet, nous nous réunissons avec l’équipe et nous échangeons, à chaud, pour connaître les plus gros problèmes rencontrés sur le projet. Comme nous sommes tous proches les uns des autres, nous communiquons beaucoup entre nous : les sujets d’innovation émergent et sont détectés grâce à cette proximité. Nous sommes en train de mieux structurer tout cela, y compris le fait de garder un historique de nos décisions par rapport au devenir de ces sujets.
Pour nos outils maisons, nous réalisons d’abord des prototypes. Par exemple, nous utilisons beaucoup de fichiers de type Excel, partagés entre beaucoup d’utilisateurs et stockés dans le cloud. Nous voulons nous en détacher. Donc actuellement, il y a un développeur qui est en charge de créer un outil maison pour gérer ces fichiers et leur partage au niveau du studio, afin de faciliter l’accès à la dernière version du bon fichier que recherche un graphiste sans qu’il se casse la tête pour le trouver. Nous avons pas mal prototypé ce futur logiciel, notamment au niveau de son ergonomie.
Et côté artistique, nous faisons aussi beaucoup de prototypes et de maquettes de personnages ou autres pour donner un aperçu rapidement. C’est très courant dans ce domaine.

Dans la vidéo qui suit, Romain nous propose de voir le making of du long métrage des As de la jungle :
 

© LES AS DE LA JUNGLE SAISON 3
TAT productions


Comment stimulez-vous l’innovation chez TAT Productions ?

Il n’y a pas d’actions particulières, mais il y a beaucoup d’écoute. Nous travaillons avec beaucoup de créatifs, qui quand ils rentrent chez eux, le soir, développent des fois des projets personnels et innovent de leur côté. Donc, c’est important de les écouter, d’entendre leurs idées.
Comme je l’ai dit tout à l’heure, nous prenons un peu de temps, en fin de semaine, pour discuter et débriefer de ce qui s’est passé, de ce qui a bien ou moins bien marché, de ce qui pourrait être amélioré. C’est réguliers. Ces réunions peuvent durer 1h.
Nous faisons tous de la veille. En ce qui me concerne, je consulte très régulièrement le site 3Dvf. Je suis également les sites de communauté de certains éditeurs. C’est le cas pour V-Ray, le logiciel que nous utilisons pour le rendu : ils ont une très grosse communauté, un très bon forum et je regarde aussi beaucoup ce qui se fait avec ce logiciel dans d’autres domaines comme le jeu vidéo ou l’architecture.
Par contre, je ne lis pas les publications scientifiques même si j’en vois passer régulièrement avec le SIGGRAPH, par exemple.
Le fait d’aller dans des salons peut être très stimulant. Nous y allons souvent à 3 ou 4 du studio, chacun avec sa casquette : le producteur pour rencontrer les financiers ou les autres producteurs, le directeur studio pour rencontrer des talents à recruter, et moi, j’y vais plutôt dans l’optique de rencontrer d’autres directeur techniques ou même des graphistes pour échanger sur nos pratiques ou nos problèmes, pour voir aussi des éditeurs de logiciels, pour discuter des nouveautés, des nouveaux process. C’est ce que nous faisons avec le festival d’Annecy, le Cartoon Forum. Personnellement, j’affectionne particulièrement le RADI RAF (Rencontres Animation Développement Innovation - Rencontre Animation Formation) d’Angoulême : il y a 3 jours de discussions et de rencontres autour de la formation et de l’innovation avec plein de petites conférences : nous en avons donné une, il y a 2 ans, pour expliquer comment nous avions fait notre premier long métrage.
Il y a des salons plus ou moins intéressants au niveau des interactions : le RADI RAF est très intéressant pour cela, et très stimulant.
Le Cartoon Forum (sur Toulouse) est intéressant car la ville organise des projections des films des studios de la région et nous propose donc aussi d’intervenir auprès des classes, chaque année. Il y a des écoles d’arts qui visitent régulièrement le studio, et également des écoles primaires. Certaines personnes du studio, après avoir fini un projet, interviennent sur 2 ou 3 mois dans les écoles de la région pendant cette phase transitoire, avant de recommencer un nouveau projet.

Un petit scoop, sur le futur proche ?

Nous nous lançons actuellement le défi d'enchaîner assez rapidement la création de nos 3 prochaines productions : Les Aventures de Pil, Les Argonautes et Les As de la Jungle 2. Nous sommes donc en pleine restructuration et recrutement. On doit renforcer pas mal d’équipes, surtout les gens qui sont transversaux aux projets. Donc n'hésitez pas à nous contacter !
Et pour patienter, voici quelques visuels de nos nouveaux projets.

© LES AVENTURES DE PIL
TAT productions, SND, France 3 Cinéma, Master Films  2019

© LES AVENTURES DE PIL
TAT productions, SND, France 3 Cinéma, Master Films  2019
© LES AS DE LA JUNGLE 2
TAT productions

Merci Romain, nous te souhaitons plein de bonnes choses pour la suite. J'ai hâte de pouvoir découvrir vos prochaines créations !

#ParlonsDInnovationAvec

Nos articles les plus lus