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mardi 1 septembre 2020

Parlons d'innovation avec...

Christophe Petit, du studio 




Interview du 13 juillet 2020, réalisée par rOmain Thouy


36ème article d’une série d’interviews réalisés sur la gestion de l’innovation dans le domaine des industries créatives (jeux vidéo, films d’animation) de la région Occitanie.

Christophe Petit
Christophe Petit est superviseur rig et fondateur du studio The Beast Makers. Ce studio est spécialisé dans la création de créature haut de gamme pour le cinéma à effets visuels et la télévision. Il développe et propose également des solutions créatives et réactives à ses clients dans le monde, sous forme de rigs et de plugins adaptés aux besoins des productions.

Formation : animation et programmation

  • son 1er film : Pinocchio (Steeve Baron. 1996)
  • son 1er gros succès : Canal + Ours ( la publicité la plus primée au monde en 2012) pour Mikros Images
Canal + - L'ours
  • son dernier gros succès : Astérix et le domaine des Dieux pour Mikros Images (2012)
Astérix et le domaine des dieux
"Pourquoi j’ai voulu travailler dans ce domaine ? J’ai eu un flash sur la 3D quand j’étais petit. Je me souviens que c’était en Suisse. Il y avait un amiga 2000 qui faisait tourner sur son écran une animation de jongleur avec des petites sphères en Ray Tracing sur un sol en damier, avec le ciel qui se reflétait dedans. Je me rappelle être resté des heures à regarder cette animation et me dire : “c’est ça que je veux faire !" Tiens, regarde, j'ai retrouvé la vidéo”.


Amiga Juggler © 1986 by Eric Graham
"A la base, je suis animateur. J’ai suivi une double formation : animation (CFT Gobelins) et informatique. Les deux se sont reliées pour me permettre de faire du rig [le rigging est procédé en synthèse d’images 3D qui dote un objet à animer d'un squelette mobile qui déformera sa maille (mesh) de surface]. Le fait que je connaisse bien l’animation me permet de proposer aux animateurs quelque chose de toujours très proche de ce qu’ils attendent. Je peux être réactif et même deviner ce qu’ils veulent, et même plus que cela. Les outils que nous créons sont là pour faciliter l’animation.

"J’ai travaillé longtemps dans des studios Parisiens, en tant que superviseur en rig et en animation et avec Céline Chotard,nous avons eu la chance de travailler directement avec Doug Chiang (qui était directeur artistique de Star Wars). J’ai eu l’occasion de souvent repousser les limites de ce que j’avais fait les fois précédentes, ce qui m’a permis d’aller toujours plus loin.

"Après être descendu sur Montpellier et avoir travaillé pendant 3 ans chez Dwarf Animation Studio, en tant que superviseur également, j’ai monté ma propre structure (c’était en 2017). The Beast Makers propose des services de prise en charge de personnage de A à Z, du modeling jusqu’à l’animation. Notre équipe est constituée de très très bons artistes :
  • Céline Chotard (Avengers Infinity War, Venom, Artemis Fowl, Moi Moche et Méchant) s’occupe de la supervision d’animation,
  • Rémi Gamiette (Ant Man,Assassin’s Creed, Hercules), s’occupe du sculpt, du texturing et de l’animation,
  • Tristan Cordeboeuf (Green Lantern, Spécialiste Ziva Dynamics) s’occupe avec moi du rigging et prend en charge le modeling, le rigging et la simulation musculaire."

"Nous intervenons beaucoup sur des publicités, des cinématiques de jeu vidéo et des dessins animés. Comme en 2018, avec le long métrage Vic le viking, où nous avons travaillé sur plus d’une centaine de personnages. 



C’était pour Studio 100, et nous avons collaboré avec Virtuos Sparx* au Vietnam, qui a fait le rig body sur les personnages pendant que nous intégrions les rig Faciaux. Nous avons repris et poussé beaucoup plus loin les 20 personnages principaux sur le body et le facial. Nous avons aussi collaboré cette année directement avec Ziva Dynamics pour un projet qui va faire du bruit !"

"Nous avons, chez The Beast Makers, un projet ambitieux de R&D dont les textures animées font partie. Au départ, c’est le studio Millimages qui nous avait contacté pour la saison 2 de Pirata et Capitano. Ils étaient très intéressés par cette idée de textures animées. En 3 semaines, nous avons sorti, pour répondre à leur besoin, un prototype de TBM2D, la version 0.2 qui est partie tout de suite en production. En 2015-2016, le prototype de départ de TBM2D était de la géométrie 3D plaquée. Le rendu était un peu casse pied à utiliser car il fallait, dans les gros plans, faire concorder la géométrie avec celle d’en dessous. Il fallait de lourds exports pour pas grand chose, alors qu’il aurait juste fallu une texture. C’est de là qu’est venu l’idée de la texture animée. Nous l’avons réalisé en avril 2019 et nous nous sommes dits qu’il pourrait intéresser plein d’autres studios. Nous lui avons ajouté des fonctionnalités et nous l’avons présenté ensuite au RADI RAF. Nous venons de finaliser la version présentée au RADI qui est maintenant la version 1.1.0. Comme je le disais précédemment, ce projet fait partie intégrante d’un plus vaste projet chez The Beast Makers".


"Le studio Américain Psyop, basé à Los Angeles, utilise notre Plugin TBM2D ! Ils viennent de produire un film pour Supercell : Brawl Stars Animation: Piper's Sugar & Spice! - YouTube. C’est vraiment génial ce qu’ils ont réussi à faire avec !

Bonjour Christophe, tout d’abord, comment définis-tu l’innovation dans ton domaine?

Bonjour rOmain. Ce qui me vient en tête, et que je te propose, c’est la définition qui revient le plus souvent dans les dossiers de demande de financement que nous avons eu l’occasion de déposer: créer quelque chose qui n’existe pas ou modifier quelque chose qui existe pour lui ajouter quelque chose qu’il n’a pas. Cela peut être quelque chose de nouveau aussi, mais qui ne relève pas de la recherche fondamentale.

A partir d’une idée, en assemblant plusieurs connaissances, si nous parvenons à créer quelque chose qui n’existait pas, alors c’est une innovation.

Comment portes-tu cette innovation ?

Nous sommes toujours en train de remettre à plat ce que nous faisons, que ce soit pour le perfectionner, le rendre plus productif, ou encore pour lui ajouter des fonctionnalités ou des composants inédits. C’est le métier et la passion qui entraînent cela : quand nous faisons quelque chose, nous ne sommes jamais vraiment satisfait à 100%. C’est ce qui se produit, je pense, pour tout procédé créatif : un artiste a toujours du mal à s’arrêter. Donc même si c’est technique, il s’agit du même processus que pour la création !

C’est moi qui porte la stratégie d’innovation du studio. Je fais beaucoup de design de produit. Nous avons des projets de R&D en cours qui sont très ambitieux et qui verront le jour, je l’espère, dans pas très longtemps.

Globalement, dans le studio, la R&D représente 50% de notre activité, mais nous pouvons monter jusqu’à plus de 80%. L’année dernière, nous étions à 80%, par exemple. Nous sommes passés en commission au CNC pour avoir de l’aide financière, et nous essayons d’équilibrer davantage la R&D et la production. Mais les deux se nourrissent mutuellement. Nous ne pouvons pas vivre uniquement de R&D.
Nous montons des dossiers d’aide à l’innovation afin d’employer régulièrement des développeurs pour travailler sur des sujets précis.

Comment faites-vous pour innover?

Nous n’avons pas de démarche particulière. Tout part d’une vision qui est partagée avec toute l’équipe, n’importe quand. Il n’y a pas de réunions dédiées à cela, régulières et établies. Cela peut se produire tous les jours. En général, nous parlons d’abord de l’idée rapidement. Depuis que nous utilisons Discord dans la société, nous mettons toutes nos idées et nos références dessus car c’est immédiatement partagé, même si tout le monde n’est pas physiquement présent au même endroit. Même chose pour les périodes de tests qui sont annoncées via le discord et que nous essayons de faire souvent, en fonction de l’activité du studio. Nous avons beaucoup de sujets de recherche qui sont arrivés dernièrement (souvent des besoins qui remontent de la production) mais nous avons aussi besoin d’assurer nos prestations de service.

Ces sujets peuvent aussi bien venir de nos besoins en productivité administrative que pour notre productivité dans nos prestations de personnages animés.

Globalement, c’est moi qui orchestre les tests et qui pilote la R&D.

Je suis obligé de jongler sur les activités et les disponibilités de chacun par rapport aux prestations en cours. C’est compliqué et c’est souvent moi qui m’y colle, du coup, et je suis un peu moins présent sur la production. J’échange beaucoup avec mes collègues pendant ces phases là, sur les résultats des tests, les essais et sur ce vers quoi je veux aller.

Allez, Christophe, tu peux m’en dire un peu plus?

Nous faisons beaucoup de prototypes. Nous veillons à bien les commenter et nous les conservons sur notre Github, avec toutes les branches de développement correspondantes. Sur le gros projet de R&D, par exemple, nous allons probablement utiliser un prototype pour nos propres besoins de production: il n’est pas encore industrialisable en l’état car il n’a pas encore d’interface utilisateur !

C’était le cas aussi pour le plugin Maya que nous avions présenté au RADI RAF. Le développeur avait fait un travail formidable en seulement 3 semaines !

Pour nos futurs projets de R&D, nous sommes en contact avec l’Institut de Recherche en Informatique de Toulouse (IRIT). Nous allons travailler sur des outils (”Implicit Skinning”) qu’ils ont développés et qu’ils commencent à déployer pour le grand public.


SIGGRAPH 2013 - Implicit Skinning: Real-Time Skin Deformation with Contact Modeling
Authors: Rodolphe Vaillant(1,2), Loïc Barthe(1), Gaël Guennebaud(3), Marie-Paule Cani(4), Damien Rhomer(5), Brian yvill(6), Olivier Gourmel(1) and Mathias Paulin(1)
(1)IRIT - Université de Toulouse, (2)University of Victoria, (3)Inria Bordeaux, (4)LJK - Grenoble Universités - Inria, (5)CPE Lyon - Inria

Ce sont des outils de skinning [processus de maillage qui associe chaque os du squelette à une portion de la peau de l'objet à animer] et de déformation de personnages. Nous développons aussi, de notre côté, des systèmes de déformations, donc c’est vraiment très intéressant d’échanger avec eux sur ces problématiques identiques : nous travaillons sur des concepts qui vont dans la même direction. Le laboratoire apprécie d’avoir des retours utilisateurs et ils nous aident en retour au niveau des ressources. Ce partenariat fait suite à la publication d’une thèse en 2012 ou 2013 sur l’”implicit skinning” qui m’avait donné envie de rentrer en contact avec le laboratoire où avait été faites les recherches. Je me rappelle que je leur avais demandé, à l’époque, s’ils envisageaient de porter cette technique dans le logiciel d’animation Autodesk Maya.

Comment stimulez-vous l’innovation chez The Beast Makers ?

Il n’est pas nécessaire de faire des actions particulières pour cela. Nous nous fixons plutôt des deadlines pour faire avancer ces sujets, et nous avons des tableaux (Kanban Board, cf:Trello) pour les suivre. C’est assez naturel, quand quelqu’un trouve quelque chose d’intéressant, qu’il le publie sur le discord de la société puis on planifie sur le tableau R&D. Cela génère des échanges dès ce moment là et entretient la dynamique d’innovation. Tout le monde peut faire des propositions : je m’occupe de trier et de gérer les propositions (dédoublonnage, vision, historique (déjà testé ou pas), etc.). C’était le cas récemment où j’avais oublié que j’avais déjà testé quelque chose dans le passé. Mais c’était bien de revenir dessus.

Je donne également des cours d’enseignement 3D en école : ArtFx et précédemment Mopa et ENI à Avignon, l’EMCI à Angoulême, ainsi qu’au Cft Gobelins à Paris. J’aime bien discuter avec mes étudiants car ils ont en général une vision assez fraîche et moins perturbée ou polluée que la nôtre, par un trop plein de connaissances. Leur manière de voir les choses permet de débloquer des problèmes. J’ai vu des étudiants qui me proposaient des solutions à des exercices, contenant des manières de faire que je n’avais jamais vues auparavant ! Je trouvais très intéressant de les encourager à pousser le concept un peu plus loin pour voir si leurs méthodes fonctionnaient vraiment ou pas.

Je m’intéresse à tous les colloques qui ont attrait à la R&D dans l’image. Je suis des comptes twitter (Chad Vernon, Daniel Martinez Lara, Hans Godard Iker de Los Mossos…), nous avons la même manière de travailler en rig Facial, et j’aime bien voir ce qu’il fait. J’ai participé au RADI RAF, et j’aimerai le refaire. Je devais également faire des présentations sur le stand occitanie au MIFA pendant le Festival international d’animation à Annecy et au SIGGRAPH où je ne suis pas encore allé.

Sinon, je lis beaucoup de publications scientifiques : toutes mes recherches sont basées sur des articles. Quand j’ai une idée, j’essaie tout de suite de trouver des personnes ou des articles en rapport. J’aime mélanger les genres (mathématiques, physiques, etc.). Quand je lis des papiers, je vois ce que ça peut donner, comment nous pourrions l’utiliser. Même si le langage utilisé entre un graphiste et un chercheur est différent, il est possible de faire de bonnes rencontres. Il y a des chercheurs qui font des recherches graphiques, avec un sens artistique.

Un petit scoop, sur le futur proche ?

Nous avons de gros projets en développement et nous aurons besoin très prochainement de gonfler nos équipes !

Et la version 2.0 de TBM2D, qui se dessine pour 2021, va proposer des fonctionnalités très intéressantes !
Suivez-nous sur www.TheBeastMakers.com, et sur notre compte instagram.

Merci Christophe, nous te souhaitons plein de bonnes choses pour la suite !

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