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lundi 5 octobre 2020

Parlons d'innovation avec ...

Frédéric Maury
de Tomato Sound Factory



Interview du 11 septembre 2020, réalisée par rOmain Thouy


37ème article d’une série d’interviews réalisés sur la gestion de l’innovation dans le domaine des industries créatives (jeux vidéo, films d’animation) de la région Occitanie.

Frédéric Maury est chef opérateur son, chef monteur son, mixeur et fondateur du studio Tomato Sound Factory, spécialisé dans l’enregistrement et la  post-production sonore pour les films et la musique.

Formation : ISAV, université Paul Valéry (Montpellier)
  • sa 1ère post production en tant qu’assistant : Pécheur d’Islande, un téléfilm de Daniel Vignes
  • sa 1ère post production en tant que chef monteur son : La Femme rêvée, un téléfilm de Miguel Courtois
  • son 1er gros succès : La réussite de la construction du studio à Montpellier
  • son dernier gros succès :  à venir et j’espère que ce ne sera pas le dernier...

"Je suis arrivé à Montpellier en 1987, pour faire des études de cinéma, après avoir passé deux ans à la faculté des sciences de Bordeaux. J’étais passionné par le son depuis mon enfance. J’ai toujours écouté beaucoup de musique. J’ai étudié un peu la musique, mais je ne suis pas musicien. On peut dire que je ne suis pas pratiquant ! Je ne joue pas d’un instrument sérieusement et c’est tant mieux pour le public, dans tous les cas - Rires.
J’ai joué pendant quelque temps dans un groupe et je m’occupais aussi du son. Petit à petit, j’ai laissé tombé l’instrument car je m’en sortais beaucoup mieux avec le son. Ensuite, pendant mes études de cinéma, j’ai commencé à travailler en sonorisation pour des concerts et aussi sur des tournages de courts métrages. C’était autour de mes 20 ans. J’étais à l’université Paul Valéry, à Montpellier, en section ISAV [Image, Spectacle et AudioVisuel]. Je suis allé jusqu’au Master 1, avec pour sujet de mémoire, La perception du message sonore au cinéma, dans la filière de cinéma ethnographique avec Maxime Scheinfeigel comme directrice de mémoire.”


De l'importance des mentors
"Je me souviens que pour mon mémoire, j’avais rencontré des ingénieurs du son réputés : ils étaient, à l’époque, les deux meilleurs au niveau national. Il s’agissait de Pierre Gamet, qui venait d’avoir un césar pour “Tous les matins du monde” et de Jean-Pierre Ruh, qui était le père du son direct et que je considère comme LE grand ingénieur du son français.
Ils étaient d’une simplicité et d’une gentillesse étonnante. Nous nous faisons toujours une idée que ces gens là sont inaccessibles, mais en fait, ce qui est compliqué, c’est de croiser leur agenda.
Jean-Pierre Ruh m’a permis de rencontrer les bonnes personnes au bon moment. Il m’a mis en relation avec quelqu’un qui cherchait un assistant. Je voulais rentrer dans le cinéma en tant que preneur de son sur des tournages.
J’ai finalement démarré sur un nouveau métier qui commençait tout juste à émerger, du fait de l’apparition de nouvelles technologies sur le traitement du son. Cette époque correspondait également, pour les films, à la transition entre le son monté sur la pellicule magnétique vers les systèmes virtuels.
Je me souviens du montage de mon premier court métrage en tant que monteur son : je l’avais réalisé avec du scotch et de la pellicule magnétique sur une vieille table de montage, à Marseille.
Alors que le montage image se faisait encore de façon traditionnelle sur une table de montage pour l’image, pour le son, on commençait à travailler sur des systèmes virtuels à 4, 8 et plus tard, 16 pistes. J’ai traversé toute cette période d’évolution technologique, avec la multiplication des pistes, la démocratisation des disques durs (le giga octets coûtait une fortune, à l’époque). Le son a vécu une vraie révolution !"

Mes débuts d'assistant monteur son à Paris

"J’ai donc commencé ma carrière comme assistant monteur son, à Paris, avec un monteur qui s'appelle Jean-Pierre Halbwachs et qui travaille toujours. Pendant ces 5 années où j’ai été assistant de Jean-Pierre, j’habitais à la fois Paris et Montpellier. Comme j’étais son assistant, c’est lui qui cherchait le boulot et qui m’appelait quand il avait un film à travailler ensemble. C’était relativement bien payé à l’époque. On s’entendait vraiment bien. Il y avait un vrai marché sur cette activité : nous avons travaillé pour Canal +, sur les premiers téléfilms en stéréo. C’était la période où le son des téléfilms a basculé du mono au stéréo. Il y avait des encodeurs. Nous étions sur le secteur de la postproduction film haut de gamme, à la pointe de la technologie.
A l’époque, nous donnions beaucoup de feedback aux concepteurs de logiciels sur nos méthodes traditionnelles de travail, et il y avait beaucoup d’échanges avec eux pendant le développement, parce que justement, il fallait continuer d’appliquer ces méthodes pour coller aux contraintes de montage image (tirage en laboratoire, transfert sur vidéo pour la télé, etc). Les premiers téléfilms sur lesquels j’ai travaillé étaient encore filmés sur de la pellicule (en Super 16 mm). C’était une période pendant laquelle l’analogique et le digital cohabitaient.
Nous avons assisté, petit à petit, au basculement vers le tout digital, en 15 ans."

Génération Digitale

"Nous sommes vraiment la génération du digital ! Dans mon métier, les studios de son étaient à Paris parce que les laboratoires de développement y étaient. Pendant un tournage, tous les rushes allaient à Paris car la fabrication et la finalisation du film se faisaient dans les laboratoires. Naturellement, toute l’industrie était centralisée sur Paris.
L’arrivée du digital m’a clairement permis de créer la société, ici, sur Montpellier. A l’aide d’outils numériques, qui, même s’ils étaient lourds en terme d’investissement, n’avaient rien à voir avec ceux de l’analogique.
A Paris, je suis devenu chef monteur à mon tour, poussé par Jean-Pierre, qui m’a dit “écoute, c’est bien sympa, nous faisons une bonne équipe, mais il serait temps que tu te débrouilles un peu tout seul”.
C’est à ce moment là que j’ai eu l’opportunité de rentrer chez France Télévision en tant que monteur son freelance, pour France 3 Lille. C’était un travail bien organisé au niveau des plannings des projets. Pour avoir vécu toutes leurs évolutions, j’étais devenu spécialiste des systèmes virtuels et j'apportais mon expertise pour toutes les opérations un peu complexes, comme les auto-conformations, par exemple, ou d’autres un peu techniques, sur la transition de ces médias pour garder la synchronisation. J’aimais bien tous ces challenges un peu techniques, surtout la part de programmation de toutes les machines pour qu’elles se comportent bien sur les processus automatiques. Cette collaboration avec France 3 Lille a duré 6 ans. Puis, suite à une restructuration, ils ont choisi de faire monter en compétence leurs équipes, et lors d’une dernière session, j’ai formé 2, 3 personnes sur ce que je faisais là-bas et elles ont pris le relais.
A ce moment là, j’avais deux enfants, envie d’être avec eux et j’ai décidé de créer mon activité sur Montpellier et d’avoir mon propre studio dédié à la postproduction spécifiquement."

Des Tomates et des sons
"Pourquoi la société s’appelle Tomato Sound Factory ? Parce qu’il fallait trouver un nom, mais aussi parce que je suis collectionneur de variétés de tomates. J’ai eu envie d’assembler mes deux passions dans le même nom, donc j’ai appelé ça Tomato sound. Comme le nom existait déjà, et que j’ai un petit côté orienté culture anglaise, j’ai mis la Factory avec, et puis voilà. C’est devenu Tomato Sound Factory, que je ne peux pas réduire à TSF, puisque TSF existe déjà en France, et que c’est certainement un des prestataires majeurs de ce domaine, donc c’est mon petit clin d’oeil à cette industrie.
Ce fut compliqué de démarrer cette activité. Surtout après avoir eu la chance de travailler dans de beaux studios super équipés mis à disposition par les producteurs. J’avais des envies de luxe et de super qualité au niveau matériel.La première année, quand j’ai créé la société, j’ai eu la chance d’être hébergé chez ASV, une société de service, dirigée par un collègue, Jean-Paul Garambois. Pour m’aider, il m’avait proposé de m’héberger pendant un an. J’avais une tout petite pièce à côté de la machine à café, qui avait été utilisée, avant moi, par un autre collègue qui venait lui aussi de lancer sa boîte; c’était comme un petit incubateur local. Finalement, je suis resté chez eux deux années, avant de me décider à chercher un local en centre ville à Montpellier. Je voulais un local au coeur de la ville, pour que mes visiteurs puissent profiter de la ville lors de leur venue. C’était un sacré challenge de trouver un local au centre de Montpellier ! J’ai eu la chance de trouver ce lieu à 2 pas de la Comédie et de la gare, dans un ancien magasin de jouets et de modèles réduits bien connu des montpelliérains. Je trouvais très sympa de créer ici une boutique du son, non pas axée sur le matériel mais bien sur la vente de sons, fabriqués ici, des morceaux de musiques, ou du son pour les films. J’aimais bien ce concept de boutique avec une vitrine qui donne sur la rue. J’avais envie de créer un lieu ouvert sur l’extérieur où n’importe qui peut venir enregistrer une voix, ou faire de la musique. Je voulais que cet endroit soit au top de la qualité !"

Cherche acousticien pour studio (F1)
"La construction du studio a été un vrai challenge ! Construire un studio de son dans une boutique de jouets, ce n’est pas simple. Qui plus est, dans un vieux bâtiment, situé au centre de Montpellier.
Le fait d’avoir travaillé dans de nombreux studios m’avait permis de comprendre la différence entre les studios où l’acoustique a vraiment été étudiée et ceux où elle est plutôt aléatoire : nous n’obtenons pas le même résultat.
Il a fallu 4 ans, entre le moment où j’ai pu obtenir ce local et celui où j’ai installé mes premières machines pour travailler du son.
J’avais rencontré un acousticien très célèbre dans un salon à Londres, qui s’appelle Philip R. Newell. Il a construit de grands studios, notamment ceux de Virgin Records et d’autres, pour le cinéma. C’était à l’occasion d’une conférence qu’il avait donnée sur la “compatibilité entre l’acoustique des petits et grands espaces”. Tout de suite, je m’étais dit que c’était le Monsieur qu’il me fallait pour concevoir mon studio parce que j’avais un tout petit studio et une envie de faire des grands films pour le cinéma !
Je l’ai abordé à la fin de sa conférence. J’ai gardé contact avec lui. Puis, il est venu un week-end. Il a vu le local, le bâtiment. Nous avons écouté un peu de musique ensemble. Après ce premier rendez-vous, il m’a dit “ok, je vais faire ton projet !” Et là, j’étais vraiment très heureux. Un jour, il m’a rappelé à la maison et nous nous sommes mis d’accord sur le budget de l’étude. Les choses étaient lancées."

Un studio suspendu de 8 tonnes
"Au tout début, Philip m’a demandé de tester la résistance du bâtiment, car le studio qu’il voulait construire allait peser, au minimum, 8 tonnes ! Il faut savoir que le studio fait 20 m².
Il avait aussi une exigence sur la hauteur des plafonds, par rapport à l’isolation à réaliser vis-à-vis des locataires du dessus.
J’ai donc fait intervenir un ingénieur béton pour tester la résistance des sols (il y a une cave en dessous) pour voir si le projet était faisable. Et là, premier problème : l’ingénieur béton a dit que ce n’était pas possible de poser 8 tonnes sur le sol existant et qu’il fallait le renforcer. Mais les travaux pour cette opération avait été estimée dans les 30000€, et en plus, il fallait faire des fouilles archéologiques dans la cave… Il a fallu trouver une autre solution. Puisque nous ne pouvions pas poser le studio, nous avons décider de le suspendre ! Il a fallu faire intervenir des spécialistes très pointus, comme par exemple, pour le scellement des IPN qui tiennent la structure qui porte le studio : c’est un maçon spécialisé dans le bâti ancien qui est intervenu, un ferronnier pour fabriquer les équerres de 10 sur 10 qui sont autour du cadre… Au milieu de tout cela, entre 2 chantiers, je remontais mes machines pour pouvoir travailler, gagner des sous pour payer la construction, puis je démontais tout à nouveau, dès la reprise du chantier. C’est pour cela que l’étude et la construction du studio se sont déroulées sur 4 années.
Au bout de la 3ème année, tout était fin prêt pour que l’acousticien puisse intervenir."

Des clous, des vis, du bois, de la sueur, des copains, du talent
"Là, ce que l’on voit aux murs, ce sont des plaques de bois râpé, qui diffuse le son pour éviter que le studio soit trop mat. A l’arrière de ces plaques, il y a différentes couches de matériaux absorbant : il faut d’abord absorber les fréquences aiguës, et les plus graves à la fin. Il a fallu presque 1 mètre d’épaisseur pour absorber l’énergie sonore du studio. C’est Philip Newell qui a suivi personnellement le chantier acoustique, et il est intervenu une fois que tous les matériaux aient été rassemblés (ce qui fut un sacré challenge là aussi, car impossible de faire passer un semi remorque dans la rue d’Obilion)."
"Tout est surdimensionné. Le matériau principal est le bois. C’est un peu comme une coque de bateau, suspendue, à l’envers. Les enceintes sont intégrées dans le mur de devant, ce qui s’appelle le flush mounting, pour éviter la résonance arrière des enceintes et simplifier la diffusion du son, et il y a un écran transonore de cinéma, qui est l’équivalent des écrans Gaumont, avec un tissu spécifique qui n’altère pas le son qui passe à travers.
Le studio est au format 5.1, avec 3 enceintes à l’avant, 2 à l’arrière et un subwoofer pour gérer les basses (et le canal LFE).

© Frédéric Maury

Mine de rien, même si ce ne sont que des clous, des vis et du bois, la construction de ce petit studio reste vraiment un petit exploit technique.
En plus de Philip Newell qui supervisait les travaux, il y avait 2 menuisiers et moi. A partir du moment où nous avions tous les matériaux, la construction a duré 17 jours. C’était en plein mois de juillet. Je me souviens d’une journée très chaude où nous avions fixé les plaques de goudrons sur les murs (elle sont utilisées pour absorber les basses). Quand nous sommes revenus de la pause déjeuner, elles avaient fondu ! Il a fallu que j’aille chercher un climatiseur pour refroidir le chantier !
Le sol a été posé assez vite. Il est composé de matériaux sandwiches, et l’ensemble est structuré comme un pont, et repose sur les bords des murs afin que les charges soient renvoyées vers les murs.
Une fois que le sol a été réalisé, Philip m’a demandé où je comptais m’assoir pour travailler.
Je lui ai indiqué où je voulais m’installer pour travailler : il a alors mesurer la hauteur de mes oreilles, il a tracé la hauteur idéale des enceintes et après, il a fait les plans du studio.
C’est un studio qui a été fait sur mesure."

"Un studio sur mesure, calculé pour la hauteur de mes oreilles"

Un studio innovant 100% anglais
"J’ai travaillé dans des salles de montages son : ce ne sont pas des studios mais des pièces avec des acoustiques standards, dans lesquelles nous préparons notre travail, pour aller le mixer, ensuite, dans un studio. C’était cela, mon métier de monteur son.
Ce que j’ai créé ici, c’est un mélange entre une super salle de montage (c’est très rare d’avoir une salle de montage avec une acoustique aussi pointue) et une petite salle de mixage, plus spécifique pour des programmes télévisuels ou des petits budgets. Sur Montpellier, mes clients faisaient plutôt du cinéma documentaire, avec des budgets plus faibles. Donc il me fallait créer un outil de travail pour produire une qualité de production broadcast mais avec des coûts de fonctionnement moindre. L’équation innovante à résoudre était de trouver l’outil idéal entre la technique, l’acoustique, le lieu, le marché, les compétences pour fabriquer une bande son de qualité à Montpellier.
C’est un studio 100 pour 100 anglais, tout en bois, comme ceux de Virgin Records, avec le même principe acoustique de l’époque de Tom Hidley, pour ceux qui connaissent. Ce sont les premiers studios où l’acoustique avait eu vraiment un impact créatif sur la couleur du son.
Mes outils aussi sont majoritairement anglais. Le matériel d’écoute est conçu aux états unis mais fabriqué en Europe, en Pologne, plus exactement. C’est une écoute très pointue, il faut s’y habituer, car ce n’est pas comparable avec celle de la maison.
Si on considère le système d’écoute et l’acoustique de la pièce, c’est un peu comme disposer d’un microscope pour le son. Tout est grossi, et on a une perception plus évidente, à la fois de ce qui est bien, mais aussi des défauts. Comme on entend tout, c’est évidemment plus complexe de trouver le bon réglage, mais quand on a l’habitude et que tout est en place, le son qui sort d’ici fonctionne sur n’importe quel autre système de diffusion.
Après les travaux, Philip Newell a eu une façon très simple de résumer la chose.
Il a dit “le son voyage bien”.
La problématique de n’importe quel studio est que tu entends ce qui sort des enceintes en même temps que les résonances de la pièce. Quand on est en train de travailler, les 2 se mélangent dans les oreilles. Par contre, quand on sort le fichier, et que l’on va écouter ce fichier dans une voiture, sur sa chaîne, sur son téléphone, les résonances de la pièce ne voyagent pas avec le fichier. L’empreinte du studio doit être soit neutre soit positive."

Apprivoiser un studio
"Au début, j’ai eu beaucoup de difficultés à travailler dans ce studio parce que c’était trop précis pour moi. J’avais l’impression que ce que je faisais était catastrophique. Il m’a fallu un peu de temps pour m’habituer, trouver mes repères. Je découvre encore des choses. Je travaille sur la sensation. Je m’approche de la sensation de la musique et des voix. Le résultat sur les voix est étonnant. Je peux faire confiance à ce que j’entends et je n’ai pas besoin d’extrapoler. Comme le disait Philip Newel, “Trust what you ear”.


Ce studio est polyvalent et permet l’enregistrement, même s’il est petit. C’est comme un auditorium pour le cinéma, où le preneur de son et le bruiteur sont dans la même pièce mais ici, j’enregistre des voix, des bruitages. Pour du chant, du commentaire. J’ai aussi parfois des post synchro, du doublage, des voix off pour des documentaires, et, depuis quelques années, comme le studio fonctionne plutôt bien, j’ai développé un peu plus la partie finalisation de la musique avec le mastering (la post production en musique). J’ai eu la chance d’enregistrer des voix chantées, des voix off, du rap, etc.. Avec mon collègue mixeur Romain Dupont, nous développons aussi le mixage musique. Le studio est commercial donc il est possible de le louer et de venir avec ses ordinateurs portables, ses propres logiciels et de se câbler sur l’écoute du studio pour vérifier certaines choses qu’on ne peut pas vérifier ailleurs."

Et maintenant, place à l'interview innovation de Frédéric

Frédéric, tout d’abord, comment définis-tu l’innovation dans ton domaine?

Dans le domaine du son, l’innovation est présente sur plusieurs plans. Il y a le point de vue technique, qui concerne les outils qui sont à notre disposition. Il y aussi le point de vue sur les méthodes de travail.
Mais il ne faut pas oublier l’innovation créative, car le mixage du son, que ce soit pour la musique ou les films, évolue. Nous allons toujours chercher le petit quelque chose de différent.

L’innovation sera donc présente dans le nouveau plugin ou le nouveau logiciel qui va permettre de faire des nouvelles choses, comme le morphing audio, la synthèse, la modification de sons.
Mais il est aussi très intéressant de faire de l’innovation à reculons, c’est-à-dire, de ressortir d’anciennes machines et de les intégrer dans du processus moderne digital pour voir comment ces vieilles machines mises un peu de côté peuvent se réintégrer dans une chaîne beaucoup plus moderne. Il y a des expérimentations qui se font là-dedans, et j’aime beaucoup y participer car cela débouche bien souvent sur de l’innovation créative.
C’est ce que j’aime dans mon métier, une évolution permanente de la technologie et des outils qui traitent le son, aussi bien les machines hardware que les logiciels, et puis une innovation créative pour inventer de nouvelles bandes son, de nouvelles façons de mixer, etc..
Etre créatif, c’est répondre à des choix, et dans mon métier, quand je travaille sur un film, par ex., je réponds à des milliers de choix, du matin au soir. Où je place un son face à l’image, quand est-ce qu’il commence, à quel niveau, combien je mets de basses, d’aigus, quelle texture, etc..

Comment fais-tu pour innover?

L’activité du studio, c’est de la prestation de service pour des clients à l’extérieur. Lorsque quelqu’un vient me voir et m’apporte un morceau de musique qu’il a mixé à la maison, il aimerait bien qu’il soit de la même qualité que celui des copains sur Spotify, Deezer ou une autre plateforme. Je vais d’abord écouter son morceau. S’il est dans le bon format, je peux commencer à fabriquer tout de suite, mais s’il a fait quelques erreurs d’export, je vais conseiller le client pour qu’il refasse ses exports, en lui donnant des indications pour éviter la saturation, par exemple. A partir d’un morceau brut, je commence à travailler comme si tous les outils du studio étaient débranchés.

© Frédéric Maury

Ma première R&D consiste à choisir la première machine que je vais brancher et utiliser pour ce type de musique. Je refais toute ma chaîne sonore de traitement en fonction du projet sur lequel je travaille. Je fais des tests pour trouver le meilleur enchainement de mes outils et je remets en question ma chaîne productive à chaque projet. Pour le film, il y a des méthodes plus standards, car on va d’abord travailler les sons directs, puis il va falloir créer toute la bande son avec les ambiances et les effets spéciaux, puis après on reçoit la musique et on l’intègre, avant de passer au mixage. Ce sont les quatre grandes phases du travail du son à l’image. Pour ce travail là, j’ai mes outils de prédilection. J’ai mis en place mes banques de sons, mais s’il m’en manque, je prends mon enregistreur, mon micro, et je vais enregistrer, ce qui peut être compliqué, parfois. J’ai une petit anecdote à ce sujet. C’était en plein été, et je devais monter le son d’un film d’animation qui se passait à la montagne, dans la neige ! Trouver des sons de neige sur des mouvements particuliers, en plein mois de juillet/août, il vaut mieux avoir déjà anticipé sa sonothèque… Sinon, il faut appeler des copains qui sont dans la bonne région. Ou alors, on fait du bruitage et on invente des choses qui vont ressembler à ce que l’on veut. L’innovation peut venir de là aussi, puisque quand on crée de la matière sonore pour un film, on va chercher des choses originales afin de se démarquer de ce qui se fait ailleurs.

Tu peux nous en dire un peu plus ?

J’ai eu la chance de travailler sur des projets en vidéo à 360°. Dans ce domaine, il faut mettre en place tout un processus technique pour le son.
Dans mon cas, je n’ai pas choisi le son binaural mais l’Ambisonic. C’est une technique qui te permet de percevoir le son de façon plus enveloppante que la simple stéréophonie qui vient de devant le spectateur. La problématique du son 360° est de réussir à transcrire l’espace sonore par un casque, c’est-à-dire avec 2 enceintes qui sont perçues par 2 oreilles. Au cinéma, on peut mettre des enceintes partout. Cela fonctionne actuellement avec du Dolby Atmos (avec beaucoup d’enceintes), et on peut faire croire que le son vient de derrière en plaçant une enceinte derrière. Par contre, quand tu écoutes du son au casque, il faut utiliser des processus de type psychoacoustiques. Le binaural utilise un concept psychoacoustique lié à la perception physiologique des sons arrières par rapport à l’espacement entre les deux oreilles. Ce sont des filtres qui travaillent pour faire croire au cerveau que le son vient de derrière.
Pour ce projet, j’avais choisi le processus Ambisonic, un processus encodé, qui travaille sur la phase et qui permet de mieux faire bouger les choses que le binaural. Dans ma recherche sur ce projet là, je voulais faire en sorte que certains sons restent fixes et pendant que d’autres bougeaient au sein de la même image sonore. Si par exemple tu as de la musique et que tu tournes ta tête, je ne voulais pas que la musique bouge, mais seulement les effets sonores, ou les présences des gens qui passent. Il a fallu que je trouve les logiciels et les algorithmes qui me permettaient d’obtenir cet effet. Et après, il a fallu mettre en place le processus de fabrication. La recherche sur ce projet là a consisté à aborder les problématiques sonores, la relation de l’image et du son, et cela m’a renvoyé à mes années universitaires, où j’avais eu des formations théoriques sur le son en lui-même et la perception du son à l’image, et notamment sur la manière dont le cerveau réagit à ces stimuli sonores.
Ce travail de recherche a été fait pour un client, donc dans le cadre d’une commande.
Je ne fais pas de R&D financée, car on m’a dit que la R&D financée devait absolument déboucher sur du dépôt de brevet. Dans mon secteur, je fais plutôt de la R&D créative et culturelle, en fait.

Comment tu stimules ta propre innovation ?

Je fais de la veille technologique en essayant des machines. Pour favoriser les ventes, les constructeurs prêtent des machines de démo aux studios qui veulent les essayer. Par exemple, j’en ai eu une d’un constructeur Danois pendant toute la durée du confinement. Ces machines passent de studio en studio, chacun la garde un moment pour la tester. Je l’ai utilisée sur certaines productions.
Concernant la veille sur les logiciels, je travaille sur SADIE 6, un logiciel développé et vendu actuellement par la société Prism Sound.

© Frédéric Maury

Je suis en très bons termes avec eux et je fais même un peu de consulting pour eux sur certains projets, notamment ceux à Radio France où nous sommes allés ensembles il y a quelques temps. Je fais leur traducteur anglais/français, et comme je connais très bien le logiciel, c’est plus simple et plus efficace. Quand cette société livre de nouvelle évolutions, je suis immédiatement prévenu, et à l’inverse, cela arrive qu’ils développent des fonctions que je leur suggère.
Je fais aussi beaucoup de veille sur internet, via les forums d’utilisateurs d’outils particuliers. J’échange beaucoup avec les collègues aussi, et je lis la presse spécialisée : je suis abonné à une revue anglaise qui s’appelle Resolution qui fait une veille sur les outils.
Pendant longtemps je suis allé sur des salons techniques mais j’ai arrêté parce qu’à chaque fois, je m’endettais terriblement : ça donne trop envie de s’acheter de belles machines, c’est sans fin. La stabilité d’une entreprise et d’un studio comme le mien, c’est de rester à la hauteur du marché local : les investissements ne peuvent se faire qu’à hauteur de la clientèle de l’année.

Il arrive, comme pour la bande son d’un film, que l’on collabore entre professionnels. Là, je viens de finir un long métrage que j’ai mixé quasiment ici. Il sera distribué par un distributeur hongrois, et comme il a l’habitude de fabriquer ses films lui-même, il a voulu que la dernière étape de vérification et de finalisation du film se fasse dans son studio à Budapest. 

© Frédéric Maury

J’ai eu la chance de me retrouver dans un des plus grands studios d’Europe de l’Est, avec des gens très sympathiques. C’était vraiment agréable de confronter nos pratiques de travail. Ce type de collaboration stimule l’innovation en validant des choix que l’on fait soi-même. Par exemple, je reviens de là-bas avec 3 noms de plugins que je ne connaissais pas mais que nous avons utilisé et qui étaient vraiment bien.
J’adhère à l’AES (Audio Engineering Society), l’association mondiale des ingénieurs du son, qui est américaine à l’origine. Une fois par an, il y a un salon aux US et en Europe. J’en ai visité plusieurs (Paris, Londres, Barcelone).
Maintenant, je diversifie l’activité du studio et je m’oriente vers la production musicale avec l’accompagnement de projets d’artistes. Ces 3 dernières années, j’ai remplacé les salons techniques par les salons artistiques dans le secteur de la musique. Comme les budgets sont limités pour faire ces démarches là et que mon studio est bien équipé techniquement, je suis plus sur des salons en lien avec les projets artistiques. Pour compléter ma veille, je lis des publications et des bouquins scientifiques et je continue à suivre des personnes, comme Philip Newell, avec qui j’ai gardé contact.

Alors, Frédéric, le bonheur est dans le son ?

J’adore transmettre et parler de mon métier (je fais un peu d’enseignement), car c’est toujours une passion.
Je me lève le matin, je viens ici. Il n’y a pas de fenêtre. Ma fenêtre, c’est mon écran ou mes enceintes. Je viens dans ce petit studio avec autant de plaisir, tous les jours !

Un petit scoop, sur le futur proche ?

J’espère que ce studio va survivre à la crise que nous traversons actuellement. Le futur est très incertain sur le secteur de la culture en général. Le scoop serait peut-être que je commence à travailler sur le développement d’un projet musical en tant que producteur en essayant aussi de trouver une façon innovante de développer et financer ce projet, car je suis convaincu que le secteur de la musique doit trouver une façon innovante de se financer.
N'hésitez pas à suivre l'actualité du studio sur facebook !

Envie de voir le studio à 360° pendant l’interview ?



Merci Frédéric, nous te souhaitons plein de bonnes choses pour la suite !


#ParlonsDInnovationAvec

Crédits : la musique des podcast (intro et outro) provient de Bensound et est extraite des titres "Love", "Birth of a Hero" et "Elevate".

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