Recherche dans les articles

mercredi 19 juin 2019

Parlons d'innovation avec…

Michaël Rambeau de Bioviva





Interview du 26 avril 2019, réalisée par rOmain Thouy


20ème article d’une série d’interviews réalisés sur la gestion de l’innovation dans le domaine des industries culturelles et créatives de la région Occitanie.

Michael Rambeau
Michaël Rambeau, directeur du développement, de l’export, et game designer, chez Bioviva.
Bioviva propose depuis 23 ans des jeux de société éducatifs sur différents sujets comme la nature, l’environnement, l’homme, les sciences. Ses jeux s’adressent aux enfants de 3 à 6 ans, mais aussi pour les 7,8, 9 et 10 ans, ainsi que pour toute la famille. La société possède aujourd’hui un catalogue d’une centaine de jeux, regroupés en collections : jeux coopératifs, éducatifs à destination des parents (“j’aide mon enfant à”), des jeux de cartes Défis Nature, etc.. Bioviva emploi aujourd’hui une vingtaine de personnes. L’entreprise a la particularité de faire fabriquer tous ses jeux en France depuis 1996, à St-Paul-Trois-Châteaux, avec le même imprimeur. Tous les jeux sont labellisés Origine France Garanti, et certifiés FSC (composants papiers issus de forêt durablement gérées).

Formation : Licence AES à Paul Valéry, suivi d’un master 2 en marketing à l’université de montpellier.
"Bioviva, depuis son origine, suit des critères très exigeants en termes d'écoconception de ses produits pour rester cohérente avec ses valeurs et le contenu des jeux qu’elle produit : à partir du moment où vous éduquez des personnes au respect de la nature, c’est cohérent de respecter la nature dans votre manière de fabriquer vos produits !
"En tant que directeur du développement et de l’export, je dirige la ligne éditoriale de Bioviva, donc la création des produits et des collections, la sélection des futurs projets. Je suis depuis 17 ans dans la société, c’est un peu mon bébé aussi. Nous étions seulement trois quand je l’ai rejoint ! Aujourd’hui, je gère une équipe de 6 chargés de projets, avec qui nous définissons les collections et les projets, de l’idée de départ jusqu’à la production et la vente. "
"Étant arrivé très tôt à Bioviva, j’ai touché un petit peu à tout. Je me suis formé à la création au contact d’autres collaborateurs. J’ai également fait du commercial : c’est une chance de pouvoir créer, produire et d’aller rencontrer les distributeurs ! Mon côté commercial a nourri le côté conception et création. "

Bonjour Michaël. Tout d’abord, comment définis-tu l’innovation dans ton domaine?

Bonjour rOmain.
L’innovation consiste à bien adapter un produit au besoin du marché. Pour cela, il faut être en prise directe avec le marché. Je serais tenté de dire qu’il est important de créer de la disruption, c’est-à-dire d’essayer de sortir des sentiers battus, mais en même temps, il faut absolument veiller à ce que les produits se vendent en magasin. A Bioviva, nous innovons beaucoup au niveau éditorial, mais pas seulement. Au début, nous étions les premiers à réaliser des jeux éco conçus, et à l’époque, le développement durable était vraiment quelque chose de marginal.

Comment est portée l’innovation chez Bioviva ?

Elle vient notamment de Jean-Thierry Winstel, le fondateur de la société. Il pousse pour que nous nous investissions encore plus dans l’éducatif, sur les pédagogies émergentes (comme Montessori, etc.).
La stratégie d’innovation de l’entreprise est claire pour tous les collaborateurs ; elle est rappelée à différentes occasions ; elle est de temps en temps affinée et recadrée, lors de séminaires ou de réunions d’entreprise. Elle est aussi rédigée pour ce qui concerne les lignes éditoriales des produits.
Cette vision est portée par l’ensemble des personnes ; j’y participe aussi en la traduisant et en la complétant sur la dimension du jeu. Les chargés de projets, les commerciaux, les collègues du marketing, bref, tout le monde contribue à cette stratégie.

Pourquoi est-ce si important d’innover ?

C’est très important pour assurer le développement de la société. Nous avons, par exemple, une collection entière de sept jeux sur les 100 que nous avons au catalogue, qui a été complètement disruptive par rapport à nos autres produits : je veux parler de la collection J’aide mon enfant à, où nous sommes plus sur des activités ludiques, que nous proposons aux parents pour leurs enfants.
Avec une autre collection innovante qui va sortir l’année prochaine, nous aurons à peu près 20% de nos produits qui seront vraiment disruptifs. Mais il ne faut pas oublier que les produits plus anciens l’ont été à un moment donné !

Comment faites-vous pour innover ?

Chaque fois que nous construisons une collection, nous essayons en amont d’échanger un maximum avec les parties prenantes, c’est-à-dire les distributeurs, les joueurs, les parents etc..
Nous organisons des réunions internes dans lesquelles nous envisageons les futurs projets. Dans ces réunions, nous élaborons une liste de projets assez longues, que nous affinons au fur et à mesure. Puis nous sélectionnons une short list à partir de critères et de considérations plus ou moins formelles : le feeling du chargé de projet, la thématique soulevée, le potentiel marché (notre expérience nous permet d’évaluer très tôt le potentiel de l’idée), les analyses de nos propres ventes, etc.. Je suis le gardien de cette liste.
Pour dynamiser ce travail amont, cette année, j’ai sollicité l’ensemble des membres de la société, en différents cercles. Je fais cela pour toute la société 2 à 3 fois par an, à l’occasion de séminaire d’entreprise. J’anime ces ateliers avec les chargés de projet. Par exemple, au mois de janvier dernier, nous avons tenu des ateliers différents où tout le monde a pu donner ses idées, sur des collections particulières ou sur un jeu précis, et tout le monde tournait pour passer sur chaque atelier. Tous les collaborateurs y ont participé. J’ai récupéré les comptes rendus de tous les ateliers. C’était très riche : il y avait de nouvelles idées, des propositions d’améliorations et beaucoup de retours.
Notre processus s’améliore : le contenu de cette année est plus riche qu’auparavant. Je constate qu’il s’enrichit lui-même depuis à peu près 3 ou 4 ans. Avant, nous travaillions plus au ressenti. Maintenant, nous tenons de plus en plus compte des retours internes ou externes (comme les distributeurs et les joueurs).
Pour décider de passer de l’idée à sa concrétisation, j’utilise une petite grille de notation personnelle sur différents critères qui me permettent d’évaluer la cohérence du projet avec notre mission, avec notre chaîne de valeurs, mais aussi avec les aspects business, avec la faisabilité technique de production, le tout en prenant en compte les autres produits pour qu’il n’y ai pas de cannibalisation, c’est à dire de concurrence interne entre les produits. Pour chaque critère, j’échange avec mes collaborateurs afin de me faire l’idée la plus juste. Je m’appuie aussi beaucoup sur ma propre expertise.
Pour les projets où nous sommes moins en terrains connus, il peut être nécessaire de réaliser une petite étude dédiée. De toute façon, en préalable du développement d’un projet, il y a toujours un benchmark, une étude sur la concurrence et le potentiel marché. Cela va très vite : une fois qu’un projet est validé, il apparaît dans la grille tarifaire de l’année d’après. Nous sommes dans un secteur industriel qui va très vite : pour te donner une idée, chaque année, nous sortons entre 15 et 20 nouveautés !
Nous participons aussi à des salons avec nos distributeurs à qui nous présentons des prototypes. Et il est déjà arrivé qu’à ce stade là, nous abandonnions une idée. A bioviva, un projet de jeu dure de 3 mois à un an, en fonction du projet.
Pour le jeu Terristories, par exemple, il a fallu un peu environ 1 an et demi de travail. Ce jeu a été l’occasion d’un partenariat avec le CIRAD, puisque le jeu est issu d’un outil utilisé sur le terrain par l’organisme de recherche pour aider à la résolution de conflits dans plusieurs pays d’Afrique. Au départ, c’était une grosse boîte en bois, avec plein d’éléments à l’intérieur, mais pas de règles de jeu. Nous avons fait beaucoup de Recherche & Développement ; nous étions trois personnes à travailler dessus. A l’arrivée, c’est un jeu très complet dans lequel il y a de la gestion et de la négociation. Il est possible de gagner tous ensemble mais, comme dans la vraie vie, il est aussi possible de gagner tout seul. Au final, nous avons transposé le jeu à un univers spatial, composé de plusieurs planètes (ce qui permet de renouveler le jeu à chaque partie). Il faut gérer une base spatiale qui doit se développer de façon harmonieuse avec son environnement à partir d’un terrain vierge. Le jeu repose sur les trois piliers du développement durable : sociétal, environnemental et économique.

Allez, Michaël, tu peux m’en dire un peu plus ?

Pour ce qui est des méthodes d’innovation, nous avons utilisé la méthode des 6 chapeaux. Nous avons suivi plusieurs formations en créativité et en intelligence collective pour nous aider à exprimer, regrouper et trier nos idées. Nous sommes aussi très sensibles à la stratégie de l’Océan bleu vs l’océan rouge.
Nous faisons des prototypes, que nous testons d’abord entre nous, puis nous élargissons au cercle de nos proches, familles et amis, puis auprès de communautés via les réseaux sociaux. Nous organisons et réalisons nous-mêmes des tests avec le public ou en partenariat avec des institutions publiques. Nous nous déplaçons dans les écoles, les centres de loisirs ou les ludothèques municipales. Par exemple, mi-mai, ce sont trente enfants qui viennent dans nos locaux ! L’école prépare cette activité avec les enfants en amont. ca va être bruyant, dans nos bureaux !
Selon les projets, nous nous appuyons si c’est nécessaire, sur des experts ou des spécialistes du domaine concerné: par exemple, pour les fiches d’activités où il est demandé de faire des mouvements aux enfants, nous avons travaillé avec un psychomotricien pour enfants. Nous pouvons faire appel aussi à des pédopsychiatres, si besoin. Ou à des scientifiques, pour les jeux axés sur la connaissance du monde, des animaux, etc.. Par exemple, la collection Mes associations Montessori, nous sommes allés visiter une école, nous avons ensuite beaucoup échangé avec des spécialistes de cette méthode pour valider ce que nous allions proposer.

Comment stimulez-vous l’innovation chez Bioviva ?

Il y a les séminaires dont j’ai parlé tout à l’heure, deux fois par an. Nous faisons aussi des réunions créatives, propres aux projets. Nous menons des études consommateur pour avoir des retours sur nos produits.
Par rapport à la vie de l’entreprise, nous avons participé à un escape game avec toutes les personnes de l’entreprise, par équipe de 6 personnes.
Bioviva est adhérente à des fédérations du jouet français, à l’union des éditeurs de jeu, etc.. Ces organismes nous communiquent très régulièrement des études (au moins 1 fois par jour), sous forme de revue de presse dans notre domaine.
Au niveau personnel, je me tiens au courant de tout ce qui se fait en terme de jeu et jouet. Je participe à 4 salons par an en tant qu’exposant. J’essaie d’aller également à des salons sur le packaging, mais en tant que visiteur. J’aimerai en faire plus, mais je manque de temps. Dernièrement, une partie de l’équipe est partie en salon à Cannes sur une journée (des personnes du marketing, du développement et du commercial) au festival des jeux de Cannes. Certains d’entre eux ont fait de la veille sur ce que propose la concurrence, en parcourant le salon comme des visiteurs.

Un petit scoop, sur le futur proche ?

Nous mettons la dernière touche au grand jeu des Enigmes, une nouveauté majeure qui s’annonce comme un futur best de Noël. Nous sommes très fiers de ce produit, qui sera disponible en septembre, car je crois que nous avons trouvé le dosage idéal entre les aspects ludiques et éducatifs.

Merci Michaël d'avoir partagé ta vision sur l'innovation.

#ParlonsDInnovationAvec

Nos articles les plus lus