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mardi 3 décembre 2019

Parlons d'innovation avec...

Romain Aymard de Atlantide.io

Interview du 22 novembre 2019, réalisée par rOmain Thouy


28ème article d’une série d’interviews réalisés sur la gestion de l’innovation dans le domaine des industries créatives (jeux vidéo, films d’animation) de la région Occitanie.

Romain Aymard
Romain Aymard, CEO, directeur créatif et co fondateur d’Atlantide.io. Sa société développe Atlantide, un jeu mobile géolocalisé, qui se joue sur mobile ou tablette (iOS ou Androïd). Le jeu propose au joueur différentes missions, de 30 mn à 1h, qui vont lui permettre de se promener dans une ville en étant guidé par l’application et en apprenant des choses sur son histoire, de façon ludique.

Formation : ingénieur en informatique de l’INSA Toulouse.
  • son 1er jeu : Guilty Blade (RPGMaker 2000)
  • son 1er gros succès : YouRiding
  • son dernier gros succès : Atlantide ? ;)
"J’ai commencé le développement et je me suis intéressé aux jeux vidéo à partir de la classe de 5ème. Pendant mes études, j’ai eu l’occasion de découvrir les métiers associés au jeu vidéo, et en particulier celui du game design et de la psychologie du joueur. Après l’obtention de mon diplôme d’ingénieur, je me suis orienté naturellement vers cette industrie; j’ai travaillé chez Ubisoft et aussi dans des petites startups, toujours sur des fonctions de game design et d’expériences ludiques.
"Avec Atlantide, nous nous adressons à tout type de public (à partir de 8 ans). Notre jeu plaît aussi aux familles parce qu’il implique tout le monde autour du téléphone, chacun participe à la résolution des énigmes proposées. Nos aventures s’appuient sur des faits historiques et elles intègrent des documents d’archives numérisés. Le téléphone n’est pas une fin en soi, mais juste un moyen de regarder différemment autour de soi.
"Atlantide est autre moyen d’apprendre : c’est pour cela que nous l'offrons gratuitement aux écoles et collèges

Bonjour Romain. Tout d’abord, comment définis-tu l’innovation dans ton domaine?

Bonjour rOmain.
C’est principalement de proposer de nouvelles expériences. Dans notre cas, c’est de le faire à partir de briques qui existent, à droite et à gauche, en les assemblant. Pour illustrer ma réponse, je pourrai dire que le jeu Atlantide s’inspire des escape games qui sont en plein boom depuis 5 ou 6 ans et du jeu Pokemon Go qui, lui, déchaîne les passions depuis 3 ans. Atlantide est un peu à la croisée de tout cela, avec, en plus, la composante Histoire (avec un grand H), qui est très importante.

Comment portes-tu cette innovation ?

C’est dans l’ADN d’Atlantide, et de l’équipe !
Pour répondre précisément à ta question, je dirai que ce sont tous les créatifs qui portent cette stratégie. Toutes les personnes qui rejoignent l’équipe, que ce soit à temps plein, en alternance ou en stage, tout le monde a vraiment cette envie de repousser les limites. Nous sommes immergés dans cette dynamique d’innovation. Cet été, nous avons travaillé avec 2 stagiaires qui me taillaient en pièces mes scenarii ! Simplement parce qu’ils ne voulaient pas faire la même chose. C’étaient les premiers stagiaires que je prenais, donc je ne savais pas trop s’il fallait beaucoup les influencer ou pas, et, au contraire, ils ont pris le parti de créer quelque chose de différent. Ils ont voulu faire autre chose que des codes à 4 chiffres dans les énigmes. Et leurs propositions, leurs attitudes, ont ouvert des portes pour moi ou pour Maxence, notre game designer.

Pourquoi est-ce si important d’innover ?

Nos missions ne sont pas rejouables, donc si nous ne sommes pas capables d’apporter de la nouveauté dans l’expérience, la lassitude va s’installer, les joueurs vont comprendre la mécanique, et cela ne marchera plus. Le concept d’Atlantide, c’est en fait un jeu entre le game designer (GD) et le joueur. Le GD crée l’énigme, il imagine la réflexion du joueur, il essaie de le challenger, et le joueur, lui, il essaie de trouver la solution le plus vite possible.

Comment fais-tu pour innover ?

D’un côté je prône la liberté, la responsabilité de chacun, la proactivité, pour favoriser la créativité et la capacité d’innover dans l’expérience. Et de l’autre, je fixe quand même des cadres. J’impose un processus de travail que j’ai calqué sur les game design document, à partir de mes expériences passées, chez Ubisoft ou chez Youriding. Nous commençons toujours par une fiche de jeu très macro, qui peut être pratiquement remplie par un client qui voudrait une mission particulière. Ensuite, nous écrivons un storyboard, le squelette de la mission, etc.. Dans la phase 2 de storyboarding, nous faisons un brain trust. Il y en a un aussi dans la phase 3. Le brain trust, qui a été inventé par Pixar, fait partie de la catégorie des réunions d’intelligence collective. Il consiste, dans les grandes lignes, à raconter son projet de mission devant ses collègues, pour obtenir d’eux un regard externe et bienveillant sur son projet. Pour Ed Catmull (le fondateur de Pixar), le passage d’une idée, d’un projet par le brain trust permet de l’améliorer par des itérations successives.
La participation à cette réunion est ouverte à toute personne de l’entreprise qui a envie que le scénario à l’ordre du jour devienne génial. Pour ce type de réunion, je prévoies en général 2h car c’est un moment important et je ne veux pas avoir de contrainte de temps trop forte (pour couvrir un scénario, en général, il faut 30 à 40 mn). Au début, nous rappelons toujours les règles de la réunion, qui sont basées sur les 4 accords Toltèques (ne rien prendre personnellement, ne pas supposer mais questionner si besoin de comprendre, ne pas juger les idées ni les personnes, et enfin, essayer de donner le meilleur de soi même). Le lead, celui qui crée le scénario, le déroule devant les participants. Tout le monde peut intervenir quand il veut, pour des précisions, des suggestions, etc..
Chaque scénario passe, en général, au moins deux fois dans un brain trust, c’est suffisant. Il peut arriver que nous le fassions une 3ème fois en phase de game design. Mais il faut faire attention, car cela mobilise plusieurs personnes.
Pour présenter un scénario en braintrust, il faut qu’il existe au moins le game flow, c’est-à-dire le squelette du storyboard, avec des éléments de base connus, comme la durée, la complexité, le parcours avec son point de départ. En général, le premier braintrust permet de faire évoluer le parcours et la narration.

Allez, Romain, tu peux m’en dire un peu plus ?

Nous faisons aussi des prototypes pour tester de nouveaux types d’énigmes. Nous avons les limites techniques du moteur de jeu que nous avons développé. Mais il nous arrive de faire des trucs que les développeurs n’ont pas imaginé possibles, c’est assez rigolo !
Nous faisons aussi des prototypes hors contextes, en papier, par exemple, que nous envoyons à des gens pour tester, hors scénario. Les testeurs sont soit des membres de l’équipe, soit des membres de notre communauté montpelliéraine qui nous suit sur les réseaux sociaux. Notre groupe facebook compte une soixantaine de personnes actives qui nous aident (pour la correction d’orthographe, par exemple) et qui nous font de retours sur les missions. Nous leur faisons tester de nouveaux concepts, comme celui du jeu à la maison. Cela fait longtemps que je réfléchis à un Atlantide à la maison, parce que pour le moment, nous ne pouvons pas avoir des missions partout en france ! Je pense m’inspirer du jeu réalisé pour Rhonexpress pour prototyper ce futur jeu à la maison et tester l’expérience utilisateur d’un joueur chez lui.
J’ai aussi commencé à prototyper un moteur pour fabriquer des squelettes de scénario de missions, basés sur ceux qui existent déjà et qui prend en compte les retours des joueurs. J’ai créé un code, un langage, qui va me permettre de générer de nouveaux scénarii.

Comment stimulez-vous l’innovation chez Atlantide.io ?

Pour stimuler l’innovation, rien ne vaut la liberté ! Créer et maintenir un univers de travail dans lequel tu ne sens pas la pression. Tout le monde connaît les enjeux et a conscience que nous sommes une startup, donc dans un état forcément critique, mais si nous n’arrivons pas à nous libérer, cela ne marchera pas ! C’est pourquoi nous ne mettons pas de contraintes d’horaires.
J’aime bien aussi faire des réunions en me baladant, en prenant l’air, en faisant des câlins aux arbres. Pourquoi ne le ferait-on pas ? Quand tu as une façon de faire qui fait que tu repousses un peu toutes les limites de ce que tu as appris, tu remets beaucoup de choses en question et tu as des idées qui arrivent sans rien demander, c’est très fort ! Tout le monde peut être créatif, il faut juste apprendre à s’écouter.
Je pense que ce qui nous donne cette capacité d’innovation aujourd’hui est directement lié à l’ambiance que nous essayons de faire régner dans l’équipe. Cette fameuse liberté dont j’ai parlé tout à l’heure. C’est vraiment une philosophie de fonctionnement, que tu retrouves partout et tout le temps.
Dans les entretiens d’embauche, par exemple, nous avons 2 volets, dont un où j’interviens pour présenter la boîte et expliquer comment nous fonctionnons, humainement parlant. Ce côté libre peut ne pas correspondre à certaines personnes, car ce système responsabilise les personnes. Je dis même, dans ces cas là, que ce n’est pas moi qui recrute la personne, mais c’est elle et moi qui disons, “ok, nous avons envie d’avancer ensemble”, dès le premier entretien. Il n’y a pas de position de force. C’est très important pour nous de voir dès le début si la personne a cette capacité à être autonome, à s’affirmer avec ses idées, etc.. Une autre chose très importante, c’est la capacité à faire des ponts entre plusieurs compétences. Par exemple, après une réunion à Paris avec un client et notre bizdev (la personne qui s’occupe du business development chez Atlantide), de retour dans le métro, elle me dit qu’elle est en train d’apprendre le développement web, par curiosité et par intérêt personnel. Je lui ai proposé d’avoir un peu de temps de travail pour bosser sur ces sujets et d’apprendre avec quelqu’un qui maîtrise cette compétence. C’est très important pour moi de permettre aux personnes de développer leurs multi compétences. Cela nous permettra de sortir des cases et d’être encore plus innovants.

Un petit scoop, sur le futur proche ?

Nous avons un partenariat avec l’école du Louvres et nous allons travailler avec des professeurs pour apporter du contenu pédagogique. Et toujours dans le but de rendre l’Histoire accessible et ludique, j’ai en projet (plus ou moins avancé) de décliner Atlantide sur d’autres supports… pas forcément 100% numérique ! En attendant, vous pouvez nous suivre sur Facebook et Instagram.



Merci Romain, d’avoir partagé ta vision sur l’innovation. Très bonne continuation !
#ParlonsDInnovationAvec

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